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INTIMITÉ KALÉIDOSCOPIQUE

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Yvan Fauchon

 

Je suis français, j’ai 43 ans, célibataire, avec un petit Pirate de 5 ans en garde alternée, sauf depuis le début du confinement ou mon fils est principalement confiné chez sa maman, restauratrice en chômage technique, qui a une maison, un jardin… Je suis donc confiné seul, dans mon appartement (avec balcon-terrasse de 4m2 !) à Pessac, ville limitrophe de Bordeaux.

Comparé à d’autres, ça va plutôt bien.

Je suis Responsable Qualité dans un SPASAD, structure médico-sociale composée d’environ 120 professionnels qui réunit les missions d’Aide à domicile et de Soin infirmier à domicile, ainsi que la livraison de repas. La route pour m’y rendre au quotidien a pris par moments des aspects lunaires. La solitude sur la rocade bordelaise : je l’aurai vécue !

Nous intervenons auprès de personnes âgées et de personnes handicapées (plus de 900). Je n’ai pas cessé de travailler durant le confinement (heureusement ! Je serais devenu fou…).

Nous avons recentré nos interventions autour des personnes les plus vulnérables., limité au maximum le nombre de professionnels sur le terrain et mis en place le télétravail.

Avril 2020,

 

Δ JOUR 1


 

Confinement, qu’ils disent… sauf pour ceux qui doivent impérieusement aller bosser. Douche, café, et en route.

Découvrir l’urgence. Le chaos. L’organisation à mettre en place. Être là ce jour-là.

Heureusement, heureusement, j’ai la chance d’avoir un commandant à bord. #Douceur #Fermeté #Sang-froid #Valeurs #Humanité


 

Ω JOUR 7


 

Campagne d’appels aux personnes chez qui nous avons interrompu nos prestations de simple entretien ménager pour éviter la propagation du virus, pour limiter les contacts entre eux, nos «bénéficiaires» comme les appelle notre jargon, et nos professionnels. Protéger.

Une centaine d’appels peut-être ce jour pour ce qui me concerne.


 

Une dame, qui raccroche en demandant, en pleurs naissants, qu’on ne la rappelle plus. #Dépression


 

Un homme, si seul que même son chat ne lui répond pas lorsqu’il lui parle. Je cherchais à joindre sa compagne, en fait décédée depuis un an. Bug de listing pas à jour… Un bon quart d’heure à papoter, à me raconter sa si longue vie. On se quitte sur le plaisir d’avoir parlé. Parce que pour lui, dans sa si grande solitude, le confinement, c’est il y a un an qu’il a commencé. #Rencontre #PlaisirD’Offrir #Humanité


 

Distribution d’équipements de protection aux équipes, depuis ma fenêtre ouverte, car nous-mêmes sommes confinés. Dialogues, blagues et rigolades. Étrangement, la distanciation sociale crée de la proximité. #Lien


 

Préférer être là tous les jours plutôt que de me retrouver seul avec moi.

Se sentir utile, à sa place, faire tout et rien. #Polyvalence

Soutenir les troupes. Mes collègues du quotidien. Les collègues professionnels de terrain.

Soutenir.

Et puis te revoir vite, mon Petit Pirate…


 

Σ SÉPARATION


 

Mon Fils, ma Beauté, mon Pirate,

Mon Grand Petit Bonhomme…
 

Plus d'un mois passé sans te voir. C’est plus que jamais. Tout de toi me manque. Nos câlins, nos bisous, nos rigolades… T’écouter chanter, palabrer sans fin… Tes questionnements enfantins. Ton intelligence. Nos complicités. Ta peau contre la mienne.

Je vis cette absence comme nécessaire, possible, compréhensible. Le virus est partout et je ne peux imaginer risquer de te contaminer, pas plus que je ne peux arrêter d’aller travailler, de croiser tant de personnes chaque jour… J’espère ne pas me tromper. J’espère que, plus tard, quand tu y repenseras, tu verras ton papa comme digne d’être ton Pirate, ton Héros à toi, que tu comprendras cette si longue absence…

Un de nos liens : nos SMS du quotidien. #arc-en-ciel #LicornesMulticolores #smiley-cœur #zombies #ProutsCélèbres

Je te sais bien, chez ta maman, avec tes deux nouveaux frère et sœur par alliance. Dehors, dans le jardin, au soleil. Aimé.

Tu me manques tellement.


 

Ψ DÉCONFINEMENT TINDER


 

#PremièreFois

Test. Découverte. Besoin de plaire insatisfait. Besoin de lien. Besoin de vie.


 

#PriseDeRisque

Rencontre. Moi chez toi. Merci Uber !

De nouveau sentir une peau sous ses doigts. Rencontrer un regard. Rire. Être aimé.

Partager un repas, un lit, un plaisir, de la musique. Parler de tout, de rien, se rencontrer.

Être, à nouveau.

Envie partagée d’une bière en terrasse. Rédaction de notre première attestation commune de sortie dérogatoire. Officiellement et administrativement confinés ensemble ! On apprend nos noms de famille, dates et lieux de naissance… On couche notre idylle sur ce parchemin. Et puis on se pose sur ce banc, sur la petite place à côté de chez toi. Soleil. Silence. Pigeons. Plaisir du moment vécu. Bière belge partagée. Ta tête contre mon épaule. Concubinage.


 

#EtPuisPremierRetour

Premier retour aux pénates après Toi. Dix kilomètres à parcourir. Peur du contrôle. Étrange sentiment que ce confinement répressif. Incroyable sensation que d’être Occupé, étranger chez soi. Sans droits. Élaborer des stratégies.


 

#SeRevoir

Toi chez moi. Oui, se revoir. Nouveau moment volé au Monde.


 

#EtPuis…

Et puis, retour au confinement, retour à ce jour sans fin. L’énergie gagnée, volée à tes côtés, s’étiole. Face-à-face avec soi-même. Résurgence du meilleur, comme du pire. Huis-clos.

Et puis échanges de SMS énucléés, dialogues de sourds. Manque d’énergie pour contrer.


 

#FinDeL'Histoire

Je t’ai aimée.

Φ ENFIN 


 

Enfin, mon fils, je te retrouve. Enfin, je peux te serrer dans mes bras. Bonheur retrouvé. Explosion d’émotions, sous couvert d’une banalité retrouvée. Rites et habitudes sont de retour !

Câlins prolongés au petit matin.

Bonheur de me caler contre toi en allant me coucher.

Bonheur de te regarder, de t’écouter, de jouer ensemble…

Bonheur…

Je ne laisserai plus autant de temps nous séparer.

Tu me manques.

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Ξ TOUT ÇA POUR ÇA


 

Cette absence, mon Grand Petit Bonhomme, j’ai essayé de te l’expliquer, avec les mots d’un petit Pirate de 5 ans.

Je travaille dans un secteur « à risque ». Je croise tous les jours des gens qui s’occupent d’une population « à risque ». Dehors, tout est « à risque ». Et je suis dehors tous les jours pour faire fonctionner cette grande machine.

Je fais de mon mieux pour me protéger et pour pouvoir te revoir sans te faire « courir de risque ». Je suis bien placé : là où je travaille, c'est moi qui mets en place les procédures, la prévention… Et j’ai la chance qu’on écoute mes conseils là où je suis (bien).

Cette absence, c’est parce que d’Autres, nombreux, ont besoin de ton papa. Des vieux, des faibles, des seuls… Pour continuer à vivre. Et puis tu sais, entre toi et moi, j’me débrouille bien. Sois fier de moi, mon Fils. Et comprend-moi. Je t’aime.


 

Γ AU BOULOT !


 

« - Rappelez-moi… : c’est qui qu’on sauve aujourd’hui ?

- Ben… tous !

- Ok… c’est parti ! »


 

Petite blague de début de journée. 5ème, 6ème semaine. Je ne sais plus. Chaque matin ce sentiment d’être Bill Murray dans le film «Un jour sans fin». Particulièrement au moment du réveil. Un fois levé, c’est plus facile.

Café, musique dans la voiture. Le «bonjour» lancé aux collègues.

Être là, tous les jours. Plus que d’autres. Toujours là. Être un repère, un roc. Penser qu’on trouvera toujours une solution. Choyer mes si précieux collègues, nos si courageux professionnels de terrain. Parce qu’ils le méritent. Qu’ils en ont besoin. Parce que je suis là pour ça.


 

Λ ET PUIS, TOUT LE RESTE… 


 

Si loin de tout, de tous, les sentiments se distordent, se renouvellent.

Être seul, et en vie, c’est donc possible ?

Certainement pas très, ou trop, longtemps.

En attendant, ce flux d’émotions nouvelles vécues au quotidien me remodèle.

L’essentiel devient accessoire.

Et l’accessoire essentiel.

A fleur de peau, irritable, à vif, le Moi s’exprime… Capable du meilleur comme du pire.

Je renverse des tables entières. Je chamboule mes amitiés, mes amours. Je les renforce. Je les défie. J’en crée d’autres, insoupçonnées.


 

Demain ?

La Vie

© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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