TAKA - TAKATA
Berthe Minon
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Je suis française.
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Reporter à Pékin depuis 4 ans avec mon mari, nos 2 ados et notre vieille chatte de 17 ans
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Le 16 avril 2020,
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Tous les jours, j’entends ce son.
Un son, qui maintenant me rassure. Taka-takata. C’est le bruit d’une mitraillette. Une mitraillette jouet, en plastique. Ce sont celles d’une bande d’enfants de mon quartier qui jouent, probablement à la guerre. Mais pour moi, c’est comme s’ils faisaient la guerre à l’épidémie et qu’ils avaient décidé de protéger le quartier tout entier, avec force et vigueur. Du moins, c’est ce que je me plais à me dire quand je les vois, maintenant que j’ai compris que ce bruit répétitif que j’entendais depuis des semaines depuis mon 20ème étage, était celui de leurs jeux imaginaires.
Leur insouciance aussi me rassure car les journées se suivent et ne se ressemblent que trop depuis le début de l’épidémie, ce qui affecte mon moral et celui de mes proches. Nous avons beaucoup de chance d’avoir déménagé où nous sommes il y a quelques mois, alors que l’enceinte d’habitation qui compte une dizaine de tours, offre au centre un assez grand parc. Assez grand pour qu’on y trouve une aire de jeux pour enfants, un préau pour lire à l’ombre, des terrains de badminton et même un de croquet, plusieurs sentiers traversent une végétation généreuse bien aménagée et même un petit bassin d’eau qui l’été héberge poissons, cygnes et canards, tout y est pour nous occuper et nous divertir.
Parce que la distraction, il n’y en a pas beaucoup depuis que nous sommes revenus. Après avoir passé avec succès les deux semaines de quarantaine obligatoire, j’avais espoir de pouvoir retourner au travail, bien consciente et volontaire des nouvelles mesures de protection sanitaire mais hélas, non. C’est en télétravail que j’accomplis désormais mon travail. Idem pour mon conjoint et nos enfants qui sont eux, en «télé-école». Télé-ceci, télé-cela. Ça demande une certaine organisation à laquelle nous avions réfléchi auparavant et heureusement ! Car vivre à 4, en confinement, n’est pas rose à tous les jours. Entre les corvées domestiques plus nombreuses et devenues plus compliquées, et la concentration nécessaire pour bien faire le travail, il n’est pas simple de motiver une adolescente et un pré-adolescent à se porter volontaire… mais petit-à-petit, nous sommes parvenus à trouver une harmonie dans notre nouvelle routine quotidienne.
C’est aussi que, contrairement à plusieurs autres, nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir partir lors du congé annuel du chunjié, le Nouvel an chinois, pour nos deux semaines planifiées de pure légèreté en Thaïlande. L’éclosion du coronavirus n’était pas encore considérée comme étant une «épidémie» car elle semblait assez localisée mais dès notre arrivée à Bangkok, tout a déboulé et les messages texto par wechat ont commencé à pleuvoir. Des messages d’amis restés à Beijing mais aussi de nos employeurs et des écoles des enfants nous demandant notre état de santé et surtout, notre température. Dès lors, c’était prise de température au lever pour tous les 4, avec un rapport conséquent à qui de droit. Dès lors, c’était notre principal sujet de discussion. Malgré le décor thaïlandais enchanteur des palmiers, du soleil et de la mer qui nous berçait on ne parlait plus que de ça, entre nous et avec les gens que l’on côtoyait. Que devait-on craindre? Que devait-on faire? S’imposa aussi ce que l’on espérait vivement mettre de côté pendant ces vacances tant attendues : l’internet et les médias, sociaux et traditionnels.
Un peu paniqués au début nous avons su, heureusement, rapidement nous raisonner grâce en bonne partie, à des lectures scientifiques bien éclairées. Mais nous devinions bien qu’avec la vitesse avec laquelle le virus se propageait qu’il ne faudrait pas attendre longtemps avant que la situation ne s’étale et affecte bien plus qu’une ville du centre-sud de la Chine. Un bon indice de la gravité de la situation nous est parvenu lorsqu’il a fallu changer non pas une, mais trois fois notre vol de retour.
Après avoir évité de justesse un long transfert de 12 heures à Kunming en passant plutôt par Shanghai avant d’atteindre Beijing, c’est en arrivant à la guérite de notre enceinte d’habitation à 1 heure du matin, en shorts et en sandales avec le teint halé que les formalités et les contrôles ont commencé. Dans notre chinois rudimentaire nous avons compris des gardiens de sécurité qu’il fallait impérativement nous inscrire et nous enregistrer avant de pouvoir entrer, même si nous avions la preuve de notre adresse. Quelque temps plus tard, les orteils bien gelés, nous pûmes finalement retrouver notre petit nid douillet. Encore chanceux, les autorités de notre enceinte ne limitent pas notre nombre de sorties bien qu’il faille à chaque fois montrer une preuve d’inscription et donner notre température, et c’est ce qui nous permet de maintenir une sorte d’équilibre.
La sortie quotidienne, qu’elle soit pratique pour aller chercher les paquets, ou sanitaire pour simplement changer d’air, nous fait du bien. Nous avons beau essayer de nous convaincre d’aller nous promener dans un parc car, heureusement ils sont ouverts, il faut avouer que nous avons parfois du mal à quitter notre petit quartier où nous nous sentons protégés. Il faut aussi avouer que ce confinement obligé apporte aussi quelques bienfaits : plus de déplacements dans des transports en commun bondés et dans des embouteillages interminables typiques d’une gigantesque ville de 20 millions d’habitants, la course contre la montre pour nos déplacements s’est arrêtée. L’unité familiale ne s’en porte aussi que mieux alors que nous avons la chance de savourer ensemble nos repas et que nous cuisinons comme jamais auparavant.
Toutes les expériences culinaires que chacun (oui, les enfants aussi !) expérimente est une source de distraction, d’expérimentation et de gratification bienvenue. Quant à qui fera la vaisselle ça, c’est toujours la question compliquée…
Mais je reviens à mon taka-takata1 qui est aussi le titre d’une chanson, fort populaire, de Joe Dassin lancée en 1972 et le nom d’un personnage de bande dessinée japonaise illustré dans le Journal de Tintin en 1965.
Depuis quelques jours, un autre «taka-takata» se fait entendre aux côtés des enfants-gardiens du quartier, le mien. Je me plais à bombarder de clichés les pétales de magnolias, de lilas et de potentilles du parc alors que le printemps est arrivé, espoir d’un retour prochain d’un bonheur exempt de virus et de confinement…
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© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020
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