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MICROCOSME SOCIAL EN PANNE

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Robert Allambatoumel â€‹

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Je suis TchadienJe vis dans la capitale, N’Djamena avec mon épouse et nos 5 enfants (26 ans, 22 ans, 18 ans, 14 ans et 10 ans)

 

J’ai fait mes études de sociologie à Brazzaville (1). Je suis directeur-adjoint de l’ENASS (2). J’ai participé au congrès fondateur de l'AIFRIS (3) à Caen en 2005. J'ai été correspondant du MIDADE (Mouvement international de l'apostolat des enfants) au Tchad

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Dans notre École, les activités se poursuivent timidement en terme de permanence pendant la pandémie malgré l’arrêt des cours au sein de l’institution.

La fermeture des écoles et autres institutions de formation impacte les habitudes quotidiennes. On ne sait plus à quoi on est utile pendant cette période. Les jours se ressemblent dans la mesure où tout est routine. Les questions qui au quotidien taraudent notre esprit sont «de quoi sera fait le lendemain, à quand la fin de cette pandémie. Comment protéger la santé des enfant ? »

Par ailleurs les jours paraissent très longs sans doute eu égard à l’inactivité qu’entraîne cette situation de pandémie.

Le 22 avril  2020,

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Notre monde est un «grand village» dans lequel nous sommes appelés à partager, à communiquer pour un mieux-être de tous. Depuis un moment on entend parler de la «communauté internationale», des « nations unies ». Ainsi, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication nous appartenons tous à un village planétaire donc un monde qui n’a pas de frontières : les informations politiques, économiques, culturelles sont relayées, par la magie de la technique d’un bout de la planète à l’autre en une fraction de seconde, voire instantanément. Jamais l’humanité n’a trouvé autant de moyens pour agir sur elle-même positivement. L’homme, par son savoir-faire est devenu maître de l’humanité.

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Au lendemain de la nouvelle année 2020, après que dans le monde entier, des hommes, des femmes, des jeunes ont adressé comme de coutume à leurs proches les vœux du nouvel an, personne ne pouvait penser que l’année 2020 allait connaître un bouleversement sans pareil. La joie d’entrer dans la nouvelle année s’est très vite transformée en une anxiété, une angoisse sans pareille. La note 20 sur 20 que les hommes et les femmes, à travers le Tchad, se sont souhaitée comme vœux pour l’année nouvelle a laissé la place à un virus qui s’est invité dans le quotidien des tchadiens. Lieu de naissance du virus ? Wuhan en Chine : une ville jusque là inconnue des Tchadiens ! La Chine c’est bien loin du Tchad pour nous faire peur et nous inquiéter !!! Ce virus ne pourra jamais arriver! Mais n’est-ce pas là oublier très vite que les moyens de la nouvelle technologie de l’information et de la communication nous rapprochent tous et tout près de cette Chine, berceau annoncé du virus : nous sommes exposés.

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La fermeture instantanée des écoles, des lieux de culte, lieux de distraction, l’interdiction d’organiser les cérémonies de mariage, de deuils, les couvre-feux, le confinement ; la fermeture des frontières terrestres, aéroportuaires, maritimes, libération des prisonniers… les personnes en mission dans un autre pays ne peuvent plus rentrer dans le pays car les frontières sont fermées. Tout cet éventail de mesures laisse entrevoir l’extrême gravité de la situation.

Il faut fuir, éviter la promiscuité. Pour le commun des Tchadiens se dire bonjour sans se serrer la main est impensable.

Depuis l’apparition de ce virus, l’ordinaire des populations est chamboulé. L’horloge sociale « grippée » s’est arrêtée de tourner. Les informations, très éparses, parcellaires et contradictoires véhiculées par les médias locaux et autres réseaux sociaux ne rassurent sur rien et aggravent ainsi de jour en jour l’angoisse des populations à travers les quatre coins du pays. Un flou semble être savamment organisé autour de cette pandémie à tel point que personne ne sait plus qui dit la vérité : l’espace médiatisé des hommes de santé est en conflit, les tradithérapeutes se réveillent et proposent, à travers les réseaux sociaux, leur thérapie pour juguler la pandémie. Toutes les propositions de solution au mal sont les bienvenues.

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Comment un virus si minime peut-il bouleverser la méticuleuse organisation sociale construite au fil des années et durant de durs labeurs et de réflexion par des hommes et des femmes rendus maîtres de l’univers ?

« Le monde est en guerre » (la troisième ?) contre un ennemi invisible et très fort ; et même plus puissant que les puissances habituelles de ce monde. Chaque pays paniqué se bat avec ses moyens du bord. Le covid-19 vient nous rappeler notre impuissance, notre fragilité. La fragilité de nos dispositifs scientifiques et sanitaires, notre incapacité à gérer intelligemment notre monde. La communauté internationale… désemparée n’existe plus.

Les hommes de Dieu voient dans la pandémie une colère divine contre l’humanité qui s’est détournée des valeurs de vie véhiculées par les saintes écritures (infanticides, viols, pédophilie, homosexualité, guerres…). D’aucuns n’hésitent pas à faire référence au déluge du temps de Noé, ou à la destruction de Sodome et Gomorrhe… l’humanité est appelée à se repentir et à demander la miséricorde divine.

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Certaines classes sociales tombent dans un travers d’optimisme et distorsion du traitement cognitif des données scientifiques sur l’existence du coronavirus 19 ; en d’autres termes au moyen de ce biais d’optimisme certaines couches sociales pensent qu’elles sont moins exposées à la maladie que d’autres… L’illusion cognitive sociale amène donc ces Tchadiens à sous-évaluer la possibilité de contracter le mal (« la grippe, le rhume… on en a toujours souffert ici donc pourquoi paniquer ?»). Comme conséquence de ce biais d’optimisme ou de déni, des hommes et femmes opposent un refus aux mesures barrières conseillées par le Gouvernement : ne pas serrer la main en se saluant, se laver les mains avec du savon… et le confinement comme alternative à la propagation du covid-19.

Par ailleurs toutes les couches sociales sont appelées à contribution. Les musiciens, les artistes, les troupes théâtrales développent et proposent des thèmes relatifs au covid-19 et les mesures pratiques pour faire riposte au mal. Les spots publicitaires commerciaux ont disparu des antennes des radios et des télévisions pour faire place aux spots de sensibilisation à la lutte contre la pandémie.

 

Le confinement, les fermetures des bars, le couvre-feu comme mode de riposte au mal a apporté de conséquences bénéfiques : un répit dans la consommation et la gestion exagérée de l’alcool. La vie dans les foyers connaît un changement : les enfants et les femmes sont heureux et applaudissent de voir les hommes à la maison ; alors que par le passé avant l’avènement de la pandémie, les pères de familles, après les heures de travail, passaient la majorité de leur temps en compagnie de leurs amis autour d’une bière ; les pique-nique ne sont plus organisés tous les week-ends.

Si « restez à la maison » permet de réduire la propagation du virus, il a aussi des effets psychiques sur certaines personnes en ce sens où chaque activité de la maison est faite et refaite plusieurs fois, elles entrent dans la monotonie, dans l’ennui ; même si ceux qui ont les moyens passent leur temps à fouiner dans les réseaux sociaux pour combattre la solitude.

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Pour les couches tchadiennes défavorisées (les veuves, les personnes handicapées…) qui vivent au jour le jour de petits métiers comme sources de revenu, le covid-19 vient compliquer la précarité de la situation dans laquelle elles se trouvent. Les tenanciers (ères) des restaurants, des débits de boisson ouvrent leur entreprise dans la clandestinité avec tout le risque d’être verbalisés. Les clients de ces débits de boissons clandestins disent trouver là une « autre manière de se confiner ».

Les manières de sentir et de vivre sont remises en cause. L’univers sociétal est bouleversé. Il faut (ré) apprendre à vivre autrement.

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Comment sera construite l’après-pandémie ? Un monde fondé sur la solidarité entre les peuples, un monde où personne n’est exclu de la chose publique ou un monde fondé sur la division entre les hommes ? Un monde dans lequel la richesse se trouve entre les mains de 01% de la population ; un monde où des hommes et des femmes doivent être considérés comme des Sdf (4), où des peuples peuvent être chassés de leur terre ?

 

Nous avons tendance à investir dans les armements pour se défendre contre les êtres humains visibles comme nous ; mais pas dans le domaine de la santé. Voilà qu’aujourd’hui nos bombes, nos fusils, nos missiles, nos armes de destruction massive de dernière génération remplissent inutilement nos poudrières. L’ennemi invisible, covid-19 sorti de nulle part, vient désarmer l’humanité entière et nous dire notre grande misère et nos lacunes. Autant d’interrogations qui méritent une réflexion pour une action.

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Ici au Tchad comme ailleurs nous seront appelés, où que nous soyons à réécrire l’histoire de notre univers social en lettres de lumière. La pandémie du covid-19 vient nous rappeler combien nous sommes tous égaux ; égaux face à la maladie, égaux face à la mort. Nos inventions les plus sophistiquées, nos richesses, notre puissance militaire, nos différences culturelles, notre puissance économique montrent leurs limites. Les guerres, les attentats… qui balisent notre quotidien sont les symptômes visibles d’une société écrite par les « riches » et imposée aux « pauvres ». La société à laquelle nous devons rêver est celle qui doit tirer pleinement partie des forces de toutes les communautés et faire en sorte que les hommes, les femmes s’épanouissent en parfaite harmonie avec leur milieu et les uns avec les autres. Cette pandémie vient apporter une très grande leçon à l’humanité vis-à-vis de ses pratiques anthropologiques, sociologiques, sanitaires, économiques, culturelles. Covid- 19 vient en fait nous rappeler cette grande réalité que nous sommes tous dépendants les uns des autres. Chacun avec ses forces et ses faiblesses.

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  • Lavement des mains au savon ;

  • Utilisation du gel hydro alcoolique ;

  • Distanciation sociale ;

  • Éternuement dans le coude ;

  • Confinement ;

  • Fermeture des frontières ;

  • « Restez chez vous » ;

  • Fermetures des bars, des restaurants, des écoles, des lieux de cultes ;

  • Port des masques ;

  • …..

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Pour une fois l’humanité à travers les médias d’état ou privés parle un même langage pour exprimer ce qu’elle traverse en commun comme évènement.

Si les centaines d’heures de confinement ont permis de constater que la faune et la végétation se sont régénérées ; les gaz a effet de serre ont diminué… alors ne peut-on pas penser pour dire que l’être humain est aussi le virus de notre époque!!

Jean FERRAT n’avait-il pas raison lorsqu’il chantait « partout les hommes sont les mêmes ; ici comme ailleurs… le ventre noué par la peur de l’avenir insaisissable…. Toujours en quête d’un coupable, toujours en quête du bonheur (5)».

 

Et si ce bonheur était partagé entre tous les hommes.

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1    Capitale de la République du Congo, dit Congo-Brazzaville, pour ne pas la confondre avec la République Démocratique du Congo, dit aussi Congo Kinshasa, du nom de sa capitale. Et démocratique n’est pas vraiment le bon mot pour les distinguer ! De plus, ces deux Congo ont une frontière commune de plus de 2400 km, en grande partie constituée par les fleuves Congo et l’Oubanqui, héritée bien entendu du temps des colonies, sans respect des appartenances culturelles ethniques, traditonnelles, etc.

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2   ENASS : École Nationale des Agents Sanitaires et Sociaux accueillent 4000 étudiants, dont 2000 à N’Djamena

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3  AIFRIS : Association Internationale pour la Formation, la Recherche et l'Intervention Sociale 

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4  Sdf : Sans domicile fixe, itinérants.

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5   Chanson de Jean Ferrat Les touristes sont partis 

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Photos de l'ENASS 

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© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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