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JOURNAL D'UN EXPATRIÉ CONFINÉ À LA HAVANE

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Ali Belaid

Je suis français et je réside à la Havane, Cuba depuis janvier 2019. Je suis séparé et je vis avec mes 2 filles de 15 et 11 ans.

Je suis la la direction de travaux structure et réhabilitation de fabrique de tabac en hôtel. J'exerce toujours mon activité pendant la durée de la pandémie.

Mes filles sont confinées depuis le 17 mars à la maison, à la Havane donc ; quant à moi, mes sorties se limitent à mon travail et à la recherche de nourriture et produits d'entretien pour la maison.

C'est une contrainte supplémentaire, de vivre en huis clos, mais en même temps une expérience très enrichissante et une nouvelle manière de coexister avec mes proches, les collègues et les Cubains. Je ne me plains pas, car ma situation est loin de ressembler au quotidien de la grande majorité des Cubains.

Quant à mes filles, pour elles, ce n'est pas toujours facile de ne pouvoir sortir et se dépenser, de ne pas avoir pu découvrir leur environnement et le pays, car elles ne m'ont rejoint que récemment à Cuba . Cependant, elles ont développé d'autres activités à la maison, comme la gymnastique, la cuisine, le dessin, les jeux de société, la grande donne de temps en temps un coup de main pour les devoirs à sa sœur, et bien entendu, elles sont connectées sur les réseaux et jeux en ligne, avec parcimonie bien sûr. 🤔

Le 18 mai 2020,


 

Cuba, île des Caraïbes de 11,5 millions d’habitants.

Zone de passage, de convoitise et au passé tumultueux.

Sa situation géographique ne l’a jamais épargnée des fronts et affronts, qu’ils soient climatiques ou socio-économiques.

Isolée du monde occidental depuis la révolution castriste en 1959 et pour son soutien à l’URSS, elle fait face avec aplomb à l’embargo de son puissant voisin étasunien.

Abandonnée à son propre sort après l’effondrement du bloc soviétique en 1991, Cuba apprend à survivre.
 

Les épidémies, elle les connaît par cœur, et ce depuis déjà plus de 500 ans avec la colonisation des Espagnols et l’éradication de son peuple primitif.
 

Depuis quelques années, Cuba a ouvert le pays au tourisme, qui est devenu la troisième ressource économique du pays, après l’exportation de ses services médicaux (personnel et produits) et le transfert de devises des Cubano-américains.

Depuis bientôt 2 mois, bien que le gouvernement ait fermé ses frontières, et ce malgré un contexte économique très critique et une crise de liquidité aggravés depuis le renforcement de l’embargo américain (suivi par d’autres partenaires économiques régionaux comme le Brésil, la Bolivie, et le très controversé nouveau président vénézuélien), Cuba n’est plus isolée.
 

Car un nouveau voyageur, arrivé également en touriste, s’est incrusté et a commencé à se répandre.

Le pays participe ainsi à la coupe du monde de la lutte contre le virus Covid-19 avec panache.

Il faut savoir que Cuba est à la pointe des biotechnologies médicales.

L’Interféron alfa2b, médicament cubain servant à atténuer la gravité de la maladie, déjà utilisé pendant les premières épidémies de Dengue (maladie transmise par le moustique apparue dans les années 70 à Cuba) est également utilisé en Chine.

Seul pays d’Amérique du Nord et centrale ayant accepté d’accueillir un bateau de croisière britannique ayant à son bord des cas positifs de Covid-19 aux fins de rapatriement dans leur pays d’origine via un transfert à l’aéroport.

Aujourd’hui encore, Cuba envoie des brigades médicales dans le monde entier pour aider à lutter contre ce fléau sanitaire, y compris en Europe, premier partenaire économique américain... Quelle ironie…
 

Bien que les mesures de confinement aient été décrétées tardivement après l’apparition des cas de virus, depuis 10 semaines les habitants de l’île se sont mis en ordre de marche pour endiguer la propagation du virus.

Port du masque, lavage obligatoire des mains à l’eau chlorée avant toute entrée dans des centres d’achat, distanciation et confinement social sont machinalement respectés.

Ce peuple force mon admiration, comme un boxeur, il encaisse et se bat pour survivre.

Rares sont les incivilités, l’agressivité, l’irrespect,

Courants sont la solidarité et l’humilité. Unis, quoiqu’ un peu résignés face à l’adversité.

Ici, bien qu’isolés de notre famille, de nos proches, ma famille et moi nous nous sentons en sécurité.

Arrivé seul à la Havane ( séparé de ma compagne et mère de mes enfants depuis août 2018), puis rejoint par mes 2 filles, de 15 et 11 ans, respectivement en septembre 2019 et janvier 2020. Aujourd’hui toutes 2 en confinement depuis la fermeture des écoles depuis le 17 mars dernier, j’appris à découvrir que mes filles étaient à même d’organiser leur travail avec autonomie, avec l’aide de certains enseignants de l’école française très impliqués. Qu’elles étaient également capables, tout en ayant bénéficié jusqu’ alors de conditions privilégiées, de faire preuve de résilience, de compréhension, de créativité et de solidarité, alors même qu’elles n’aient eu que peu de temps pour comprendre les us et coutumes du pays.
 

Tous les enfants, cubains ou étrangers, sont assignés à résidence. Les quelques étrangers encore présents, n’ayant pas de titre de résidence sont également confinés, dans l’espoir de trouver un vol pour l’aéroport à ce jour fermé et aux vols très exceptionnels pour rapatriements d’urgence.

Pour ma part, je suis toujours en activité professionnelle. Je côtoie tous les jours mes coreligionnaires cubains. Les pénuries de produits alimentaires, d’hygiène et d’entretien se sont considérablement aggravées.

Les rationnements sont légion, les supermarchés déjà peu achalandés avant la crise sanitaire sont fermés et les queues devant les tiendas (épiceries) sont prises d’assaut avec des queues de plusieurs heures pour une simple poignée de victuailles à acheter. Les force de l’ordre sont toutes mobilisées, armée et police réunies, pour faire respecter mesures d’hygiène et distanciation sociale.

Les étrangers apprennent enfin le quotidien d’un pays en souffrance, la privation, la discipline. La solidarité n’est pas encore assimilée, pas encore assez inscrite dans nos gènes.

En tout état de cause, toutes les mesures prises ici semblent payer. Il y a moins de 3 semaines, le pays comptabilisait plus de 800 cas positifs. A ce jour, dimanche 17 mai 2020, ce chiffre est tombé à moins de 300 cas.

Je reviens sur la situation d’isolement du pays, qui s’intéresse de près à l’évolution de la maladie dans le reste du monde, et particulièrement en Amérique du Nord et en Europe. Le peuple cubain est inquiet d’entendre les décisions gouvernementales d’allègement du confinement, et de voir les images des comportements d’incivilité (ou d’irresponsabilité) des métropolitains rapportés par les médias. Et ce, eu égard aux trop nombreux cas de Covid-19 encore présents. Si le pays envisage de rouvrir le tourisme au plus tard fin juin, ce sera uniquement pour les nationaux présents sur l’île. Les seuls vols internationaux seront pour le négoce ou des rapatriements.


Mais il ne faudra pas se leurrer, les touristes seront confinés dans leurs hôtels, car je doute qu’il y ait liberté de circulation tant que le nombre de cas de contaminés à l’étranger restera aussi élevé.

Pour notre part, ma seule inquiétude est de permettre à mes filles de rentrer en France, retrouver leur maman cet été. Alors j’attends, comme beaucoup, je vis au jour le jour dans l’espoir et la confiance de lendemains meilleurs.

 

© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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