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RÉAPPRENDRE       -       À DEMAIN

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Myriam a mis à ma disposition les textes et la photo de cette page publiés sur son site internet. Je vous invite à le visiter régulièrement.

Merci Myriam

Myriam Rubis

Je suis française et j’habite Paris. Je suis conteuse 1

A propos de moi-même :

J'aime les mots. De toutes les couleurs, tous les étages (même les bas), toutes les langues.

Depuis que j'ai une bouche et des yeux, je tourne autour comme un papillon autour d'une flamme.

Les mots de papier d'abord : Pendant plusieurs années, j'ai été traductrice, ombre dans une entreprise et le soir pilier de l'atelier d'écriture de Joëlle Guillais, la généreuse. C'est l'époque où je n'avais pas de problème de fin de mois mais où j'avais faim de moi.

 Puis j'ai rencontré Henri Gougaud et découvert la parole vivante, vibrante, celle qui se tisse en présence sur le fil du vivant, et en ces temps de grande solitude électronique, j'ai senti le côté révolutionnaire de la chose.

Sur mon chemin aussi, Odile Burley, comédienne, conteuse, clown et transmettrice : en me montrant la voie du clown, elle m'a fait sentir, physiquement, que le conte est avant tout relation... redonnant ainsi au mot "relater" sa plus belle dimension.

 

Alors j'ai osé le passage de l’écrit à l’oral, de l’ombre à la lumière, et j'ai commencé  à conter : scènes ouvertes, cabarets, troquets, Musée du quai Branly, rue, petits théâtres, et tous ces jolis lieux qu'animent mes copains conteurs, mes frères et soeurs de parole, de soleil, de partage.

Le 27 mars 2020

RÉAPPRENDRE

Il y eut le temps des plus grandes peurs et de la plus grande illusion. Le temps de la mort niée et du culte à l'éternel plastique.

Plus personne n’osait sortir et risquer une rencontre avec l’éphémère de chair. La solitude devint la norme et les cas de folie se multiplièrent.


Pour préserver l’équilibre social, des solutions technotropes furent trouvées. Chacun pourrait, sans sortir de chez lui, se connecter à d’autres solitudes nettoyées de tous miasmes, poils, odeurs, sueurs et autres manifestations organiques. Le mot, exempt de son encre – fluide susceptible de débordements et sinuosités inconvenantes - serait placé sous la haute surveillance des polices du caractère afin qu’il reste strictement mesuré. L’écran hygiaverbique ferait le reste.

Mais une erreur d’appréciation avait été commise : celle de prendre le mot à la lettre et non à l’esprit. Celle de ne plus croire à l’esprit. Or l’esprit du mot n’est que désir. Contrarié, il se fit plus patient, plus habile.

Mais il souffrit. Jamais il n’avait parcouru de chemin aussi froid sous une lumière si grise, il fallut qu’il s’adapte à la lune glacée des ordinateurs. Bien sûr le rêve qui fait partie du mot prit sur l’écran d’étranges proportions, et au malheur d’être seul en succéda un bien plus grand : l’illusion de ne plus l’être. Les désirs frileusement échangés ne se croisaient jamais. On se manquait toujours en croyant se trouver. Mais le manque de l’autre, quoique masqué, était bien là, diffus et augmenté par l’avant-goût de quelque chose que les mots, même sous plastique, transportent toujours. Chacun sentait ouverte en lui une brèche, un vide qu’il ne savait nommer.

Or, c’est dans l’interstice de ce manque que se produisit le miracle. Les mots peu à peu y reprirent des forces. Dans leur ventre une flamme renaissait qui se fit soif, espoir, larmes. Des yeux usés des internautes finirent par tomber des graines de poésie et des graines naquirent des fleurs étoilées. Enivrés par leurs émanations, certains les sniffèrent à l’excès, au point de tomber dans la faille et de s’y perdre. Mais d’autres, simplement éveillés par ce parfum qui leur en rappelait d’autres perdus dans leur mémoire, se mirent à rêver d’autre chose. A rêver d’un passage menant vers l’oublié.

Ils cherchèrent le gué menant à l’autre rive. C’était le gué du silence qui traversait l’écran.


Ceux qui eurent le courage de le passer, sans un mot, sans un clic et sans se retourner, émigrèrent vers la rive du vivant. Ils s’y trouvèrent d’abord perdus, car dans ce pays, on parlait une langue qu’ils ne connaissaient plus. Il leur fallut réapprendre le langage du corps. Il leur fallut réapprendre leurs yeux, réapprendre leurs pieds, leurs mains, leur bouche. Et ne pas l’apprendre seul mais avec d’autres mouvants, éphémères, imparfaits.


Ils se firent conteurs, danseurs, ou simplement vivants.


 

                                                                                          À DEMAIN

Je dors.

Je dors et mon sommeil est rond.

Mon sommeil est un oeuf tapissé en dedans d’une peau bleu printemps.

J’attends.

Repliée en fœtus, je grossis lentement.

Sous un ventre immense, je me nourris de rêve et je remplis mon oeuf. Au chaud.

C’est un virus qui me couve. Un virus d’espoir, de lendemain qui chantera autrement, et du fond de ma coquille, je sais ce virus contagieux. Je sais tous ces œufs, partout, couvés par le même ventre d’espoir.

J’attends et je grossis, et sens autour de moi, de plus en plus serrée, cette peau bleu printemps.

Le temps est proche, très proche, où nous briserons nos coquilles de verre, nos coquilles de rêve. Nos becs déjà s’aiguisent, prêts à briser nos habitudes, prêts pour le chant futur. De notre immobilité naissent des promesses d’ailes, et de nos vies antérieures, une certitude : rien n’adviendra, ni chant, ni vol, sans une arme nouvelle :

La délicatesse.

Car le monde dans lequel nous renaîtrons sera fragile, bien plus que nos coquilles, et son rêve plus friable que le nôtre.

Il nous faudra apprendre. A marcher, à voler, du bout des pattes, du bout des ailes. Apprendre à épurer nos gestes et ce qui sort de notre bec, apprendre à désapprendre le bruit et les secousses.

Dans notre peau nouvelle, notre peau bleu printemps, lentement, délicatement, nous marcherons sur le vieux monde. Comme sur un œuf.

© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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