AU CŒUR DU COVID
Juliette M.
H
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L
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Humanité
Observatoire
Peur
Irréel
Titanesque
Amour
Lame de fond
Un journal de bord qui n'était pas destiné à la publication mais à sa famille et à ses amis.
Un grand merci à Juliette qui vit en Ile de France de nous dévoiler avec tant d'humilité et de courage son quotidien à l’hôpital durant le confinement.
Le 19 mars
Coucou,
Quelques nouvelles, l’hôpital se prépare à un afflux à partir de dimanche.
J’espère que nous serons mieux achalandés qu’à Mulhouse, rapport au nombre de patients, car les témoignages des médecins là-bas sont vraiment très préoccupants.
En psychiatrie, nous préparons des plans d’urgence dans tous les sens : soutien des équipes, réanimation, pneumo et autres, soutien des familles, anxiolyse des uns et des autres, peut-être même des patients. Et aussi un kit de psychotropes + mouchoirs + bouteilles d’eau + blouses, pour ne rien avoir à demander aux infirmiers et médecins sur place qui courront après chaque minute. Nous créons aussi une hotline de soutien psychologique pour soignants et patients.
J’ai des symptômes mineurs et peut-être sans lien (mais pas sûr du tout) depuis vendredi dernier, mais je n’ai pas été testée, car ce n’est pas respiratoire, sans fièvre (plutôt ORL et digestif). Je travaille avec un masque toute la journée, j’espère que je n’ai rien filé à papa avec qui j’ai déjeuné vendredi dernier ni à Thomas qui n’a pas les meilleurs poumons du monde.
En sortant de l’hôpital, je suis atterrée de voir tous ces gens se promener autour des parcs et courir. J’ai envie de leur hurler de rentrer chez eux et de les insulter, si seulement ils n’avaient pas l’autorisation de l’État…
Les filles ça va, elles gèrent plutôt bien le confinement : Émilie a même pris l’initiative d’aller faire faire la sieste à sa sœur devant l’absence d’adulte disponible (moi à l’hôpital, Thomas en conférence call à la maison) ! Elles font de la trottinette et du ballon dans l’allée, ce qui est assez appréciable. Émilie fait ses devoirs avec sa mamie par Skype une heure et demie par jour, pendant que son papa travaille et que sa petite sœur fait sa sieste.
Voilà voilà, on vous fait de gros bisous.
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Le 11 avril,
Coucou à vous,
Un petit message pour vous donner un peu de nouvelles parce que je n’ai pas beaucoup eu le temps de le faire jusque-là. Déjà, la santé va pour Thomas, les filles et moi, donc bon. J’espère que pour vous aussi. Merci beaucoup pour vos adorables et nombreux messages, qui m’ont fait super plaisir. Vraiment.
Quelques nouvelles de l’hôpital :
Nous avons démarré la période COVID le 16 mars, et nous sommes préparés pour aller jusqu’au 15 mai d’une période compliquée, sur conseil du médecin-hygiéniste de l’hôpital. J’ai donc un calendrier avec 37 jours restant sur 61 et 5 semaines encore sur 9. Dans les moments les plus stressants, cela est utile de penser que le tunnel se termine même si ce sont des estimations quasi impossibles.
Ce médecin-hygiéniste est venu nous parler de l’épidémie le jeudi 12 mars, date de notre dernière réunion en grand nombre. D’ailleurs, possible lieu de contamination, car plusieurs soignants ont développé des symptômes COVID les jours suivants. Psychosomatiques ou infectieux ? On ne sait pas trop, mais un de mes collègues était positif au test. Moi j’ai eu le surlendemain des troubles digestifs et des maux de gorge pendant 5 jours, sans fièvre, sans toux. J’ai perdu 5 kg que j’ai repris 10 jours après… (dommage:-)) donc j’ai travaillé avec un masque, sans test. De toute façon, l’hôpital en ayant peu, nous les réservons pour les patients graves ou les signes très francs chez le personnel. À partir de là, un certain nombre de collègues se sont mis en arrêt maladie, d’autres ont été confinés chez eux pour 14 jours, les autres ont continué dans un service qui s’est désertifié.
Toutes nos réunions, colloques, etc. se sont arrêtés… Tous les intervenants sont restés chez eux. Grosse semaine d’annulation de tout, sauf d’appels des patients pour instaurer un suivi téléphonique si possible, sur place sinon quand c’est trop critique (état instable, décisions d’hospitalisations, etc.).
Semaine d’organisation aussi : comment intervenir en réanimation et médecine où sont créés des lits COVID ? Toute l’activité normale de l’hôpital est reportée (interventions au bloc) sauf impossibilité et les lits de médecine et réa deviennent COVID. Nous avons fait des plans blancs, avec des documents élaborés dans l’urgence et un kit (sac à dos) avec médicaments, eau, mouchoirs, arrêts de travail, ordonnances, etc., pour aller voir patients, soignants et familles sans être dépendants des soignants déjà surchargés.
Semaine suivante : nous avons expérimenté notre sac à dos et nous avons eu 2 à 3 demandes de consultation psy, par jour. Craquages en tout genre, mais essentiellement angoisses de mort bien sûr et de séparation (pas de visites des familles).
Pour les soignants se rajoute la souffrance de travailler en stress intense, de se sentir dangereux ou susceptible d’être contaminés, de gérer toutes ces angoisses, et d’être utilisés comme une variable d’ajustement (planning fait du jour au lendemain, etc.).
Nous avions fait sortir certains patients au moment du confinement. Certains n’ont pas tenu dehors et sont revenus, les autres sont tenus par téléphone dans l’attente. Nous avons aussi de nouveaux patients qui ne sont pas testés à leur arrivée (toujours pas assez de tests), ce qui angoisse plusieurs infirmiers. Les patients de consultations sont gérés par téléphone et 3 de mes patients ont dû changer de lieu de confinement tellement c’était difficile humainement.
Pour l’instant, aucun n’a l’air d’avoir le virus (sinon il faudra isoler notre unité qui deviendrait COVID + du jour au lendemain) et s’habiller de la tête aux pieds, avec des blouses qui manquent… D’ailleurs ces jours-ci l’hôpital crée un atelier de fabrication avec du plastique, véridique ! J’en ferai peut-être demain si j’ai le temps entre les patients.
Il y a 10 jours, l’ARS a ordonné l’ouverture d’une unité COVID dans chaque service, du coup, nous avons dû tout faire pour créer la nôtre. Qui est volontaire pour aller y travailler ? Difficile question pour chacun. On pense à nos enfants. Difficile d’être volontaire. On se dit que 40 ans, c’est encore jeune, on est moins exposé que nos collègues de 60 ans… pleins de raisonnements. Après s’il n’y a plus le choix parce qu’on n’est plus assez nombreux, c’est un peu différent.
Ce fameux dicton actuel que tout le monde se dit : « prends soin de toi ». Très humain, je le dis aussi à tout de bras à mes collègues. Mais dire « prends soin de toi » à un soignant, c’est lui dire : arrête de bosser. Déserte… Le droit de retrait a été évoqué par certains devant la nécessité de travailler dans de telles conditions : sans protection adaptée, sans masque.
La politique de l’hôpital a été « masque interdit », et cela, tant qu’il n’y avait pas de stock hormis le minimum vital pour la réa. Et puis c’est passé du jour au lendemain à « masque obligatoire quand on est en contact avec des patients, quels qu’ils soient ». Tout cela faussement justifié par des arguments médicaux au lieu d’arguments administratifs. Cela a rendu un certain nombre de soignants parano, d’autres désorganisés.
Une amie urgentiste est actuellement chez elle, car elle fait des vacations habituellement et n’est salariée de nulle part vraiment. Alors elle n’a pas pu y aller volontairement. Son mari lui a demandé de penser à eux, à leurs enfants. Elle est toujours tiraillée chez elle, d’autant qu’elle a fait une pneumonie il y a 3 ans.
Une autre amie de fac nous a décrit les urgences du 93. La vague en Île-de-France a commencé là-bas. Elle n’arrête pas depuis lors et est épuisée.
Caro, une amie proche, est responsable d’un service de médecine francilien. Elle enchaîne aussi, non-stop, et cherche en ce moment des blouses, elle a peur de manquer de médicaments. Elle loge, dans un deux-pièces, qui appartient à ses parents pour ne pas contaminer ses filles et son compagnon. Mais c’est glauque, toute seule, tous les soirs. Je l’appelle souvent. Concernant les masques, ça va mieux. Elle a eu à gérer des pressions pour avoir « droit » à une réanimation. Moments critiques.
J’ai deux amis réanimateurs : Denis et Arthur. Pour Denis, c’est la 1ère fois de sa vie qu’il est allé travailler la peur au ventre, lui qui fait de la réa depuis 15 ans.
D’autres amis gèrent le libéral : la mise en place de plateformes téléphoniques accréditées par la sécu, construire de nouveaux soins, etc. J’ai une amie de promo, Judith qui est infectiologue et travaille avec Santé publique France, qui nous fait suivre beaucoup d’infos médicales. Pratique.
Mes amis de fac installés en médecine générale à Paris disent que c’est calme au cabinet malgré tout. Beaucoup de travail de réassurance et d’information. L’une d’elles, Sophie est confinée à domicile pour agueusie.
Globalement, je trouve que les soignants ont chacun été pris dans l’angoisse au moment de passer à l’action, puis moins ensuite. Logique.
Au Samu, par contre, c’est l’effervescence la pire, mais ils se sont organisés rapidement. Les lits de réa ont été remplis et certains sont à nouveau libres depuis 48 h. Donc la pression redescend un peu. Et les équipes médicales ont pris des débuts d’habitudes.
Bref beaucoup de résilience, de créativité et d’échanges. Les vidéos humoristiques de WhatsApp font du bien.
Le moment agréable est le trajet maison-hôpital, à vélo en passant autour du parc. Un peu d’air frais, ça fait du bien. On a de la chance d’avoir aussi un petit jardin au pied de notre bâtiment, nous y mangeons le midi quand il fait chaud. On apporte tout, notre gourde, notre nourriture, plus question de toucher le self, les robinets, etc. Il faut limiter au maximum les contacts en tout genre (nous désinfectons nous-mêmes les poignées de porte régulièrement), car le ménage est le même que d’habitude. La sortie d’un hôpital désert (tout est concentré dans les unités de soins, mais plus aucun visiteur) vers la rue pleine de gens, ça fait trop bizarre. Parfois, j’ai envie de les insulter pour mes collègues qui sont au premier plan de l’épidémie, et puis je me dis que c’est plus compliqué que ça...
Quand j’ai fini mon travail, je passe plus de temps à la maison avec les filles, qui sont dans l’ensemble, très sages, car c’est nécessaire ! Confinées avec papa, en télétravail. Au début, je lui ai demandé s’il ne préférait pas aller à la campagne ou chez sa sœur pour éviter que je leur ramène des germes, mais il a refusé. Je prends ma douche tous les soirs en rentrant à la maison.
Heureusement, on a tous les films de Disney sur un disque dur et une allée privée au pied de l’immeuble où elles font tous les jours de la trottinette et du ballon !!! Notre jeu favori du moment : « Il était une fois la vie ». Des questions à tout va, la bagarre contre les virus, au moins on en rit. Au début, je pensais que Thomas allait tout arrêter rapidement, car la santé prévaut, mais je constate comme tout le monde que l’économie entre violemment dans nos raisonnements en termes de survie collective. Et que donc le combat dans le monde de l’entreprise est tout aussi féroce que celui du virus. Ce qui ajoute à la complexité.
Voilà pour le principal, pour résumer, c’est long, mais ça va. En ce qui concerne les dommages psychologiques, comme pour le virus, cela va aussi durer après (les Chinois décrivent 60-70 % d’états de stress post-traumatiques chez les soignants après l’épidémie), comme la récession. On lâche de plus en plus l’idée, d’un après rapide, du genre 15 mai, on commence à parler d’un an de changement profond de l’organisation sanitaire, économique et sociale, d’une gestion très longue.
Mais au milieu de tout ça, il fait beau, le printemps est là, et les liens sont là, toujours plus intenses que jamais. C’est le plus important.
Je ne pensais pas faire si long.
Je vous fais de gros bisous.
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Le 19 avril,
Coucou à vous,
Voici la suite des nouvelles de l’hôpital, mais je vais faire plus court. Je crains de vous avoir plombé la dernière fois… Cela dit là aussi c’est pas super funky ! Si tu déprimes, passe ton chemin… :-)
Bon, sur mon agenda fixé au 15 mai, on en est à Jour 26, Semaine 4 (restants), c’est-à-dire que plus de la moitié est faite. D’un côté, c’est satisfaisant. Un premier cap est passé. Les collègues de réanimation ont pris des repères, ont vu sortir certains patients (la moitié environ) vivants.
Ils sont beaucoup livrés par des restaurants de toutes sortes qui les soutiennent bien psychologiquement. On continue à les recevoir en psy pour soutenir leurs décompensations.
Des lits sont vides à nouveau, mais il faut tenir compte que c’était des lits ouverts de façon ahurissante en urgence et dans des conditions très particulières, donc c’est bien que les médias rappellent que le plateau est atteint, mais haut. Les soignants des unités COVID ont donc maintenant bien appris à se protéger contre le virus avec tout l’attirail ; et tous les hôpitaux se sont organisés pour le COVID quasi uniquement.
D’un autre côté, nous en sommes à un stade, où nous semblons entrer dans un calendrier qui sera beaucoup plus long. Le virus semble avoir infecté « peu de gens » en population générale (estimations plus faibles que prévu, même si très peu d’études sont faites). Donc on compte moins sur l’immunité collective que prévu (ou bien plus loin dans le temps), et puis des données apparaissent pour dire que les anticorps produits ne seraient peut-être pas si efficaces (avec des réinfections peut-être). Du coup, c’est aussi inquiétant pour les soignants qui sont exposés sur la durée. Et toujours pas vraiment de traitement.
Ma copine, Caro, qui est responsable d’un service de médecine francilien, vient de perdre le premier soignant : un aide-soignant décédé ce week-end. Elle est allée pleurer avec son équipe à l’hôpital dimanche. Elle est épuisée. Beaucoup de soignants malades notamment chez ceux des unités non Covid (soins palliatifs) qui n’étaient pas protégés et qui culpabilisent du coup d’avoir contaminé des patients. En réanimation avec Denis, ça se passe plutôt bien. Ils sont contents de leurs résultats.
Là, où le raisonnement à l’hôpital était de tenir 9 semaines, cela devient essentiellement apprendre à gérer au long cours. Les raisonnements changent du coup.
Les autres patients reviennent pour leurs soins, et sont positifs ou négatifs, mais on ne le sait pas, et ils ne sont pas testés (pas de moyens). Donc l’incertitude est plus stressante encore. Car on ne sait pas qui doit se protéger, et contre qui. Cela aboutit à une certaine désorganisation et des confusions. Par exemple en psychiatrie, notre unité Covid n’a pas encore ouvert par défaut de patients. Mais comme personne n’a été testé, nous en faisons peut-être sans le savoir (comme les urgentistes au début qui ont été très atteints).
Les patients, après être restés comme ils pouvaient chez eux, reviennent en nombre parce que ça ne tient pas (sans hôpitaux de jour, avec la famille, etc.). Donc beaucoup de demandes d’hospitalisation. Et là, bon courage pour trouver un rationnel entre risque infectieux et risque psychiatrique. Et rassurer une équipe de crise pour continuer à être contenant et thérapeutique pour les patients psy.
Risque pour les soignants ? Au final, mon chef a négocié vendredi avec le directeur de l’hôpital des tests pour tous les patients, la semaine prochaine. Les soins vont donc changer de tournure. Mais impossible d’imaginer tous les scénarios, à chaque fois qu’on en fait, ils sont à côté.
Vendredi, pour souffler, j’ai sorti le piano du service dehors, où l’on mange sur des tables au soleil de la terrasse de l’hôpital de jour : on a chanté « la tendresse » et la « seine ». C’était un bol d’air.
Voilà en gros. Toujours pas de grave souci de santé (j’ai mal à une articulation du pouce depuis un mois), Thomas va bien, les filles aussi, qui apprennent aussi à chanter la tendresse (Bourvil), magnifique. On enverra peut-être une vidéo… si on arrive à capturer ces deux crapules.
Gros bisous à vous,
J’espère que tout va le mieux possible pour vous,
(bon en fait c’était long quand même)
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Le 27 avril,
Coucou à vous,
J’espère que vous allez le mieux possible.
Voici les news de la semaine, du jour…
Les unités COVID se calment, mais là, je ne vous apprends rien. Les hôpitaux n’ont pas encore fait le bilan des pertes, mais préparent la « vague de juin ». Un mois après le déconfinement. Avec une grande crainte du côté des agences de santé, car le matériel est encore insuffisant pour affronter une deuxième vague. Donc, ils encouragent à prendre maintenant des patients « autres », tout en nous disant, de ne pas en prendre trop pour permettre de réagir vite au cas où. Résultat : les chirurgiens trépignent pour reprendre leurs opérations (cancéro, infarctus, etc…) et les directions freinent. C’est la dispute.
Nous les psy, de toute façon on n’a pas arrêté, au contraire, les demandes sont très nombreuses. Nous gérons deux fois plus de patients que de lits : ceux qui ne tiennent pas à la maison, mais n’ont pas encore de place (mais on ne les connaît pas alors il faut les gérer), ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas sortir de l’hôpital, ceux qui doivent venir, mais ne peuvent pas, inventivité permanente…
Et puis comment gérer le virus dans tout ça ? Certains infirmiers sont très inquiets : protège-t-on assez le personnel ? On a opté très tôt pour que tous les soignants de l’unité aient un masque, mais au début les autres n’étaient pas d’accord (et la culpabilité va vite quand il en manque, du coup on en mettait un par semaine pour ne pas piquer dans le stock des Covid+). On a aussi décidé qu’on en mettrait aux patients, on est allé en chercher à la pharmacie de ville un stock de 18 pour les médecins, pour pouvoir leur donner les nôtres.
Quand il a su qu’on mettait des masques aux patients, mon chef s’est énervé et est venu dans l’unité pour dire qu’il ne fallait pas. On ne s’est pas laissé démonter tout en précisant qu’il fallait différencier : 1/ce n’est pas bien de mettre un masque (scientifiquement) et 2/c’est bien d’en mettre un, mais on n’en a pas assez.
Car si l’on est dans la 2ème situation, au moins on met en place des systèmes de démerde. Ce qu’on a fait. Une fois rassuré, il a approuvé. Il a fallu aussi lever le ton vis-à-vis du cadre du département qui hurlait sur quiconque lui demandait un masque. Nous lui avons demandé de nous dire clairement combien il y en avait de dispo, qu’on s’organise pour le reste. Et d’un coup, ça a été plus clair, car il a fallu que la direction des soins se positionne clairement… Bref, c’est très pénible, très flou, très fou et très désorganisant. Bon maintenant, on parle moins de masques du coup.
Pour les surblouses, ce sont les soignants de l’hôpital qui les ont fabriqués pendant 8 jours dans le self à partir de sacs poubelle et de fers à repasser… youyou, grande classe. Je n’ai pas eu le temps d’aller donner un coup de main, car j’ai trop couru, mais ça m’aurait dit de participer au mouvement.
Pour protéger notre personnel avec nos patients confinés, nous avons dû peser le pire entre les isoler 14 jours dans une chambre ou, les tester à l’entrée, ou faire les deux. Mon chef a négocié des tests pour eux (en se disputant beaucoup avec les infectiologues et en expliquant au directeur que nos malades ont, en tant que borderline, 10 % de risque de mortalité suicidaire et qu’on a besoin pour cela de les soigner, en groupe et non pas, seuls dans leur chambre pendant quatorze jours. Donc nous avons testé tout le monde cette semaine.
J’ai fait les prélèvements avec trois ou quatre collègues, tous étaient négatifs. Pour l’instant ça repousse le fait d’avoir à organiser une unité Covid+, à part. Avec les tenues de cosmonaute toute la journée… Peut-être en aurons-nous une dans une semaine, peut-être jamais…
Sinon, le jardin de l’hôpital est magnifique et nous profitons de déjeuners dans les pâquerettes et ça c’est le pur bonheur.
Les filles vont bien, elles dessinent superbement Harry Potter, Hermione et Olaf de la Reine des neiges et chantent à tue-tête, Thomas s’est fait la barbe de Motörhead, horrible, mais ça l’amuse en attendant de se préparer à retourner bosser…
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Le 3 mai,
Coucou à tous et toutes,
Quelques nouvelles toujours : pour moi semaine très difficile à l’hôpital. Les patients affluent et vont très mal. Le service est plein à craquer et on n’arrive pas à fermer deux lits pour « distanciation ». Ils mangent dans le salon, car la cuisine est trop petite, ils n’ont toujours pas de perm, ni de visite, comme en prison, donc ça n’arrange rien.
J’ai fini tous les soirs à 19 h au plus tôt. C’est glauque, et en même temps, ce sont des moments riches émotionnellement. Avec les patients, avec l’équipe… Ce travail, bien que très ingrat en ce moment, est très humain. Jeudi, on a couru dans tous les sens, mais tout le monde était coordonné, à sa place, les internes, les infirmiers. Et la journée s’est bien finie… avant la suivante.
Bref, pas une minute pour se reposer cette semaine, j’ai mangé le midi en faisant mes comptes rendus, pas le temps de descendre au jardin prendre l’air.
Trois jours de pause m’ont fait le plus grand bien. Sieste tous les jours. Avec Émilie, on a séparé des pieds de tomate pour leur laisser toute la place nécessaire, on a regardé Harry Potter. On a fait des cookies. Mathilde [la plus petite] dessine et colorie à gogo, et écoute les chansons que l’école a mis sur son blog.
Programme de semaine prochaine [4 jours ouf] : réussir à faire sortir des patients sans retour boomerang, voir ce qu’on fait avec leurs masques : normalement on devrait les laver toutes les 4 heures dans un circuit archi pensé, etc. Je n’ose même pas y penser. Déjà, négocier de les avoir a été coûteux. Faut-il négocier d’en avoir en papier ? Après tout, maintenant que les entreprises en ont partout, on peut peut-être en demander autant que nécessaire à l’hôpital, non ? Et sortir du système D, qui, comme tout protocole en ce moment, est caduque au bout de 4 à 7 jours…
Au programme, prélever les nouveaux patients pour le COVID aussi. Et préparer le protocole déconfinement : comment faire des visites à l’hôpital ? Va-t-il falloir plastifier tout avec une vitre et chépaquoi. Je suis déjà fatiguée rien qu’à imaginer tout ça. Mais l’avantage c’est qu’on est plusieurs. On va le faire ensemble.
Bisous à vous,
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Le 10 mai,
Coucou,
Quelques nouvelles, les dernières peut-être, j’arrête bientôt ma chronique, car ça se calme et j’aurai peut-être plus le temps de vous appeler. Ce serait mieux. Et puis les habitudes c’est pas trop mon truc… ! Le confinement se termine, vous aurez d’autres chats à fouetter aussi.
La semaine était plus calme que les précédentes. D’une part, les nouveaux patients sortis ne sont pas revenus en boomerang, ce qui a permis d’en faire revenir d’autres. Bref, nous avons réussi à réduire nos patients sur 6 lits au lieu de 8, car les infirmiers sont toujours en sous-effectif, et la cuisine est petite [le service aussi], ce qui fait que les distances sont difficiles à respecter pour tous.
Nous avons demandé des masques jetables pour les patients, vu que maintenant il y en a partout, mais la direction des soins a opté pour demander de façon autoritaire aux infirmiers de nuit de faire une lessive avec les masques en tissu que nous avons récupérés par une association, le soir.
Le service semble donc être revenu sous contrôle après des semaines très lourdes.
J’ai prévenu mon chef de service que j’avais un problème avec l’école maintenant. C’est notre nouvelle question : comment garder les filles quand Thomas va arrêter le télétravail ? L’école est en flux très tendu, ils accueillent 10 enfants en tout… Enfants de soignants en priorité, mais dans quel climat ? Pour les maternelles, ils veulent faire respecter les mètres de distance, désinfecter les puzzles, les jeux communs, etc. Bref, ils vont revenir psychotiques les mômes.
Les filles étant relativement protégées du stress depuis 8 semaines, ça ne nous enchante guère. Je m’organise pour les jours qui viennent et, on verra ensuite, à chaque semaine ses questions.
Donc en tout cas la bonne nouvelle c’est que je suis avec les filles ces jours-ci. Avec quand même, au minimum, un suivi téléphonique et quelques allers-retours à l’hôpital. Et, j’ai aussi beaucoup de travail en retard [écriture d’articles, thèse]. Tout cela si possible, à l’heure de la sieste de Mathilde !
Voilà, j’espère que vous allez bien. Je vous fais de gros bisous et vous souhaite bon courage pour la reprise progressive.
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