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PARTIRA, PARTIRA PAS 

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Patricia Galéa

Je réside en Inde depuis 6 ans, à Mumbai. Auparavant en France, et pour ne pas rentrer dans les détails, je suis née au Congo RDC (République Démocratique du Congo) où j’ai vécu ma petite enfance.

J’ai un compagnon, indien, mais nous ne sommes pas mariés ni n’avons d’enfants. En cette période de confinement, j’ai préféré qu’il soit auprès de ses parents. Aujourd’hui je suis donc seule avec mon chat, adopté (après avoir été secouru dans un sac poubelle par une amie) il y a maintenant 4 mois et demi !

Je suis professeur de français à plein temps dans une école internationale. Nous avons repris les cours le lundi 23 mars 2020, mais à distance. J’enseigne à quatre classes, deux de niveau troisième et deux de niveau seconde (première année de lycée). J’ai en tout 55 élèves, tous connectés de chez eux.

Et moi qui devais venir passer une semaine vendredi dernier en France, auprès de mes parents (dont je suis véritablement la seule à m'occuper), et qui devais fêter l'anniversaire de ma mère en sa présence le 21 mars, je me posais la question de reporter mon vol du fait de ce que nous vivons aujourd'hui… avant que le lendemain Kowait airlines ne l'annule pour moi (Mumbai-Kowait). Destin. Karma ? C’était un signe. J'ai donc annulé aussi Kowait-Paris... par mesure de précaution pour mes parents d'un certain âge : mon père est à 10 ans d'être centenaire héhé (90 ans et 71 jours comme il le dirait, tellement il n’en revient pas!), toujours collé sur son ipad et sur facebook en particulier (entre ses périodes de somnolence) ; il a fallu le former... mais les gens curieux et avides de connaissances apprennent vite.

 

Le 28 mars 2020,

Une pensée à vous en France!

 

Le confinement n'est pas encore mis en place en Inde, en tous cas, pas à Mumbai, pas encore... mais la distanciation est de mise, et les mesures de précaution prennent peu à peu place. Les centres commerciaux, salles de gym, piscines, et le métro sont fermés. En gros tous les endroits clos (sauf encore les supermarchés).

 

Les mesures de distanciation sociale semblent venir d'une autre planète pour des millions d'individus. Certains font des poojas (prières), invoquent les dieux pour chasser ce corona… et bien évidemment ils se regroupent... par dizaines, si ce n'est centaines... Nous avons même eu droit à une effigie du covid-19 durant la veille de la fête du printemps (fête des couleurs de Holi le 10 mars dernier (en grande partie annulée dans beaucoup d'endroits). En tous cas, distanciation sociale en Inde c'est presque ça la science-fiction.

 

De mon côté, ça y est, j'en suis sortie de mon cauchemar. Ce que nous vivons est bien réel. Et il faut apparemment qu'on s'y fasse. Beaucoup d'appels en ce moment avec mes amis en France notamment. Certains ne semblaient pas du tout inquiets de la situation, et nous rassuraient... puis tout a basculé.

 

Revenons à Mumbai.

 

Le train local, quant à lui, utilisé par des millions de passagers quotidiennement, semble néanmoins encore en circulation. Serait-ce parce que les portes sont constamment ouvertes ? Donc en condition de "non clos"? La blague. En plus, on crache assez souvent... C'est comme ça. Vous voyez le truc. Pas sûr qu'ils aient mis un panneau "no spitting" dans les trains et transports en commun... mais je sais qu'il y a un panneau "no spitting" à Sanjay Gandhi national park. En plein air. (No spitting = ne pas cracher). Je pense que vous êtes tous au point sur le virus maintenant.

 

30 cm de distanciation serait un luxe dans un train local de Bombay… surtout en heure de pointe. Ça va peut-être aller mieux dans les prochains jours puisque certains syndics demandent à leurs locataires de refuser la venue de leurs femmes de ménages, cuisinières et cuisiniers... Moi j'ai anticipé, et depuis hier, je ne fais qu'astiquer mon appart… Je l'ai jamais vu aussi propre et aseptisé. Même les interrupteurs et la sonnette !

 

Je crois que je deviens un peu parano aussi. Le virus reste-t-il aussi sur des surfaces du genre tissu ? papier ? (J'ai seulement des données sur le carton, métal, acier et cuivre).

 

Tout à l'heure le gardien est venu me faire signer un papier. J'ai une double porte. Donc la première est restée fermée... contrairement à mon habitude. J'aime les gens. Mais aujourd'hui, comme "le danger c'est l'autre" (entendu sur France inter hier par un médecin), je me tiens à carreau (1). Je prends le papier. Pas le stylo. Je pose le papier sur le comptoir. Je lis un peu la note. J'en prends la photo. C'est sur le covid 19 bien entendu. Je signe. Je redonne le papier à Raju. Je ferme la porte. Je retourne au comptoir. Je prends du PQ (2) (on en a à foison ici.. j'aimerais vous en envoyer...je m'en sers quasi plus… le tuyau c'est quand même sympa). Je mets du gel désinfectant, je nettoie le comptoir. Je prends mon stylo. Je le désinfecte. Je me lave les mains. Et à l'heure où je vous écris, je crois que j'ai oublié de désinfecter mon téléphone. Je l'avais pris pour prendre une photo des nouvelles mesures. Merde. Me reste plus qu'à prier.

 

Sur cette notice: "no entertaining stranger allowed in the building from tomorrow". Je me demande à qui ça peut faire référence... mon ami indien ? Mes amis qui viennent me distraire ou que je distraie (séance de yoga pour les accros de sport qui n'ont plus accès à leur piscine ni à leur salle de gym) ? Je forward à une amie française. Elle me dit : c'est les étrangers. Ils veulent plus que tu reçoives d'amis étrangers. Eh oui. Sur nos groupes WhatsApp. Certains témoignent d'être refusés/discriminés pour une consultation parce qu'ils sont étrangers. C'est marrant. En fait non. Pas du tout. Mais de plus en plus de personnes se mettent dans la tête que les étrangers ont amené le virus et que de facto tout étranger a le virus. Mais là, un hôpital ?!

 

C'est marrant et vraiment pas du tout en même temps tout ça.

 

Bon. Revenons à notre notice. Je veux en avoir le cœur net. J'appelle Mr A. Je m'entends très bien avec lui. Je l'ai revu avant-hier pour parler du projet de potager en terrasse (nos rooftops). Il est plus que temps d'investir dans l'avenir.

 

L'autosuffisance alimentaire chez soi, une forme de souveraineté alimentaire locale... dans un état où 8 agriculteurs se suicident par jour et où chaque année accuse d'une conséquence dramatique du changement climatique... la sécheresse... je pense qu'il est temps de s'y mettre. Heureusement que dans mon immeuble on collecte l'eau de pluie. D'ailleurs cette année, j'étais en mode survival. Je me devais tous les jours de collecter l'eau de pluie dans mes seaux. Je dois investir dans une grande cuvette... si je suis encore ici dans quelques mois.

 

Je suis un peu collapso pragmatique, c’est à dire que je crois qu’il faut se préparer à développer sa souveraineté alimentaire…. en ces temps apocalyptiques de fin un peu du monde… D'ailleurs c'est un peu l'ambiance en ce moment. Il paraît que c'est même la bagarre dans les magasins dans certains endroits en France.

 

Jardiner c'est bien.

 

Kokoppelli (3) ça peut valoir le coup d'y jeter un œil et semer quelques graines sur vos balcons, fenêtres.… en cette période de confinement?

 

Bon j'arrête de digresser.

 

Je suis sur le qui-vive. Tiens. Marrante cette expression. Jamais réfléchis à celle là.

 

Tellement sur le qui-vive. J'ai renouvelé mon contrat de travail pour un an avant de faire mes adieux à l'Inde. Failli devoir déménager fin mars d'ailleurs. Je me suis battue, raisonnée aussi. Moment que je ne fais que repousser... le départ. Ce 8 mars 2020 je fêtais, mais pas vraiment, mes 6 ans ici. Et le 9 mars, à l'école (je suis enseignante), on s'arrosait de pétales de fleurs pour célébrer Holi.

 

Bref.

 

Je me demande comment vont faire quelques millions d'Indiens qui n'ont peut-être jamais mis la main à la pâte, ni touché à un balai ou un torchon… sans leurs aides.... si ces mesures sont généralisées. Ces tâches sont réservées à une caste plus basse. Gandhi doit se retourner dans sa tombe... enfin, ses cendres je crois.

 

Ah sacré virus. Tu nous remets tous sur un pied d'égalité. Ou à peu près.

 

Je reste personnellement un maximum à la maison par mesure de précaution (j'ai un léger asthme) à l'écoute quotidienne des dernières informations et à l'affût des dernières notifs de notre ambassade, et du gouvernement. J'ai le luxe d'avoir une terrasse. Des plantes. Sinon, je deviendrais folle en temps de confinement obligatoire. Ah punaise.

 

Bref.

 

11 patients positifs qui s'échappent de leur quarantaine ici, y a de quoi devenir un peu dingo entre nous. Non?

 

Une nana de Bengalore qui revient de son voyage de noces en Europe, testée positive avec son mari, décide de s'enfuir pour aller voir ses parents à Aggra... donc avion + train... un acte criminel. Je crois qu'on lui a mis la main dessus. Mais vous voyez un peu l'image ? Les trains bondés, l'avion au complet... OMG (4) est la réponse collective. On est béats.

 

Donc on panique tous un peu quelque part (cette dame aussi peut-être ? Elle devait avoir sa tête dans les nuages... peut-être même un premier voyage en Europe qui sait ?) On le lui pardonnera... dans de moins graves circonstances... sauf que dans la situation actuelle, c'est dramatique... et il est devenu de notre devoir de nous soumette aux règles de bonne conduite… pour le bien de tous. Mais qui aurait pensé à la fuite ? Hein.

 

Pékin, journal d'une quarantaine réalisé par un français résidant à Pékin avec sa femme (pékinoise aussi). À voir sur Arte TV. Interloquée que j'étais sur mon canapé hier. En même temps 2020 : surveillance de masse en place là-bas... Là-bas.

 

Ce soir à la radio, France info, j'écoutais un correspondant français de New Delhi tout en prenant des notes. J'ai presque pas envie de vous les partager... mais c'est 0.5 lit pour 1000 habitants ici. 52 centres de test covid-19 dans le deuxième pays le plus peuplé au monde.

 

Voilà. C'est dit. Pff.

 

 

En guise d’activités, en dehors de ma profession, je faisais de la Zumba deux fois par semaine, et depuis peu, nous avons recommencé… Je me suis amusée à renommer notre groupe whatsapp en ZOOMba... puisque nous continuons à danser mais de chez nous... toutes ensembles à travers cette plateforme populaire en ce moment : Zoom. L'avantage c’est qu’on peut faire participer nos amis du monde entier.

Sinon, les soirées de danses latines du mardi soir attendront… les repas avec les amis aussi, ainsi que les sorties au cinéma, les balades au bord de la mer d’Arabie… et les soins à domicile de l’esthéticienne aussi.

Étant à plus de 7000 km de ma famille qui se trouve au Mans, en France, je continue à les voir quotidiennement sur Google Hangout ou sur Facetime. Mes parents se portent bien pour le moment. Ils vivent dans un petit appartement au rez-de-chaussée (5) dans une ville avoisinante du Mans. Une bourgade de 7000 habitants. Ils ont la compagnie d’une chatte : Tina, qui les distrait un peu.

Ayant formé mes parents aux nouvelles technologies, je partage des vidéos de yoga, de respiration et méditation avec mes parents, qu'ils parviennent à projeter sur leur écran de télévision. (Je remercie toute la communauté de Youtubeurs pour les contenus qu’elle partage ! C’est fabuleux tout ce qu’on trouve sur cette plateforme !). Une façon de garder la forme de chez soi, et de découvrir une nouvel univers. C’est plus difficile avec mon père, lui qui avait des séances hebdomadaires chez le kiné. On préfère ne prendre aucun risque… alors je les coache à distance. Je joue régulièrement aux échecs avec mon père, comme si nous le faisions en face à face. Il faut beaucoup de patience au départ, mais une fois l’outil manié, ça roule tout seul… et il gagne en autonomie sans déranger ma mère qui regarde les films que Canal + met gratuitement à la disposition des Français en ce temps de confinement.

Ils ont un moral d’acier et mon père garde son humour en toutes circonstances. Pour lui, il s’agit bien d'un connard de virus. Entre nous, il a peut-être du mal à prononcer correctement le nom de ce virus..

 

Papa, tiens bon ! Si quelque chose devait t'arriver vu ton grand âge, je veux être auprès de toi. Dans le Nord-Est, il paraît que certains sont mis dans leur cercueil en slip. Plus le temps de rien. Je sais que tu dois déjà me préparer une blague en lisant ces mots... info d'une nana française que je followe sur insta.

 

Dimanche dernier, je m'évertuais à écrire les derniers articles pour FAMILEO, pour que les parents le reçoivent ce mois-ci... mais ce covid-19 a pris le dessus… et j'ai oublié. Donc j'ai 13 articles et photos (semi-complets) sur 30. Quel gâchis.

 

FAMILEO c'est fantastique. Profitez puisque vous devez rester chez vous. Vos grands parents et parents vous en remercieront. Hâte de voir le format papier. Je n'ai commencé qu'en janvier comme cadeau surprise pour l'anniversaire de mon papa.

 

Et moi, pendant ce temps-là, à 8000 km de là, je suis dans l'incertain permanent. En l'espace de quelques jours, c'est comme si tout s'écroulait. La guerre comme l'a dit notre président. Une guerre contre l'invisible. Jusque là je pensais, comme beaucoup, que sous un soleil de 34 degrés j'étais en sécurité face au virus.. qui n'aime pas le soleil. Mais rien n'est totalement prouvé scientifiquement... allô docteur ?

 

Serons-nous rapatriés ? Et mon chaton alors ? Il a sa carte à puce, il est vacciné contre la rage... (fière de moi j'ai tout fait 5 mois à l'avance) sauf que si demain je suis amenée à venir en France, il ne pourra pas venir. Ben non. Je prévoyais pourtant de venir avec son échantillon de sang ce 13 mars... pour le faire valider par un laboratoire européen, revenir avec ce certificat et le ramener avec moi en France cet été... 3 mois réglementaires je crois.

 

Nous avons une relation fusionnelle. C'est un chaton de 7 mois. Tout noir. Il comprend tout. Il est drôlissime. Tendre. Affectueux. Hyper interactif. Hyper sociable. Bref c'est Kaytu. Comme la deuxième montagne la plus haute après l'Everest. Normal. C'est un héros. Il a miaulé aussi fort qu'il pouvait pour se faire entendre une nuit de novembre 2019. Jusqu'à ce qu'une amie l'entende… et le sorte d'un sac de la poubelle de son immeuble… et que je décide de l'adopter quelques semaines plus tard, jusqu'à la fin de ses jours. Mon Kaytu. Il écoute de tout. De l'opéra, à Juliette Armanet ou Habib Koité ou encore " relaxing music for cats." Il y a de tout aujourd'hui ! Même pour nos amis les bêtes. Merci à la communauté Youtube!

 

Journal d'une citoyenne française à Mumbai.

Une citoyenne du monde qui a connu un rapatriement forcé de son pays natal, le Congo RDC ex Zaïre, à l'âge de 7 ans... où ses parents ont dû tout quitter en l'espace de 24 h.... pour cause de crise sécuritaire.... et se voir accorder par l'ambassade de France un laisser-passer 10 minutes avant le départ du dernier vol pour la France.

 

Aujourd'hui, elle se retrouve face à l'imprévisible, où elle sera peut-être amenée à faire ce choix pour elle. Mais son chat, lui, est sans-papier... soumis lui aussi à des règles sanitaires drastiques.

 

En attendant les vols commerciaux se réduisent comme une peau de chagrin.

 

Une histoire parmi d'autres.

 

D'autres français. D'autres expatriés. D'autres migrants. Bref. Une partie de notre histoire à tous.

 

Bonne nuit. Ou bonjour chez vous. Demain sera un autre jour. Une autre histoire peut-être.

 

En attendant, que faire?

 

 

Rédigé le 28 mars 2020 à Mumbai, Inde.

Patricia Galéa

1  Ici, entendre «rester chez soi», au sens argotique du «carreau», le domicile (la «carrée» étant alors la chambre). Peut aussi vouloir dire «se tenir sur ses gardes», se protéger du tir des «carreaux», les flèches des arbalètes («se carrer», sens argotique de se mettre à l’abri) ici du coronavirus ! ; une autre origine relevée par les lexicologues toujours vivante dans le dicton au sujet des jeux de cartes "qui se garde à carreau n'est jamais capot" (être capot à la belote par exemple, c’est perdre sans faire un pli, une seule levée de cartes. Vrai aussi pour les 3 autres couleurs, mais carreau permet la rime avec capot ! (Note de JPC)

2  Papier hygiénique, papier toilette, qui a fait couler beaucoup d’encre au vue de la ruée insensée dans certains pays à la veille des confinements de centaines de consommateurs sortant des supermarchés avec des chariots plein de rouleaux de PQ ! La peur de manquer peut vaincre rapidement le civisme et le sens de la solidarité... (Note de JPC)

3  Kokopelli est une organisation qui préserve des semences biologiques de grandes variétés (même anciennes) Note de l’autrice.

 

4 OMG ! : Oh My God !

5  Le rez-de-chaussée correspond au premier étage au Québec et dans de nombreux autres pays (Note JPC).

© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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