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QUEL MOMENT ! MAIS QUEL MOMENT ?

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Jean-Marc Lépiney

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Je suis français, j’ai 67 ans et je suis en retraite depuis 5 ans. Je suis marié, nous avons 3 fils et 5 petits enfants. 

 

J’étais éducateur spécialisé, puis chef de service et consultant dans le champ de la protection l’enfance, en AEMO  (1).

 

Militant au CNAEMO durant une bonne quinzaine d’années dont 5 ans comme président et rédacteur à la revue du CNAEMO «Espace social».

 

J’effectue mon deuxième mandat d’adjoint au Maire de la commune de COLOMBELLES, chargé des affaires sociales. Colombelles est une commune  de l'agglomération de Caen.

  

Le 25 mai 2020,

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Il nous laisse sans voix et assurément sans voie…

 

Moment de sidération :

 

C’est complètement fou, inouï, ahurissant, hallucinant, inattendu, inédit, presque incompréhensible, à peine croyable… Mais que faire ? Qu’en faire de cette période d’obligation au confinement ?

 

Moment paranoïde :

 

Réflexe complotiste : Est-ce bien nécessaire ? «On ne nous dit pas tout...». Comment est-ce possible que du jour au lendemain on décide de presque tout arrêter ? On nous cache quelque chose… Et de plus on contrôle nos sorties. Çà n’est pas l’état de siège mais on s’en rapproche… Comment se fait-il que la grande majorité se soumette sans mot dire ? Comment est-ce possible qu’on accepte et qu’on puisse adopter aussi rapidement les gestes dit : «barrières »? Recrudescence de notre servitude volontaire ?

 

Moment de sourire et d’agacement :

 

Je m’amuse de certains paradoxes : comment une petite bestiole microscopique peut-elle mettre à mal à ce point une économie mondialisée forte de sa puissance et de son indépassable horizon ?

Je m’amuse et m’afflige de constater qu’on avait oublié tous ces métiers qui œuvrent dans l’ombre médiatique et politique et qui apparaissent du jour au lendemain absolument nécessaires. Ce ne sont plus les «premiers de cordée» qui sont dans la lumière mais les «premier de corvées» qui jaillissent, qu’on applaudit, qu’on remercie, envers lesquels on entend déjà des promesses qui ne seront probablement pas tenues…

Je m’amuse d’un éventuel remède miracle. Seul un certain professeur de Marseille ose en assurer la promotion…

Je m’amuse et m’agace de l’émergence du mot : «présentiel». On serait maintenant soit dans le virtuel, soit dans le présentiel… Qu’en est-il de la présence ?

Je m’agace qu’on ne parle que de «distanciation sociale». Pourquoi a-t-il fallu ajouter «social» ? Distance «sanitaire» n’était-il pas suffisant ?

 

Moment expectatif :

 

Un moment présent qui s’écroule.

Un moment de bascule.

Un moment où les choses semblent se figer.

Un moment fulgurant qui nous rappelle que nous sommes mortels.
Un moment où notre imaginaire de progrès se confronte au réel.

Un moment où notre système semble se fracasser.

Un moment où notre démesure mondiale touche ses limites.

Un moment où notre civilisation approche des abysses.

Un moment où notre illusion d’exister se cristallise.

Un moment où nos paradigmes technico-scientifiques se fragilisent.

Un moment où on interroge le sens et la production de ce sens.

Un moment où la pensée est nécessairement mobilisée.

Un moment où notre humanité est tourmentée.

Un moment où il n’est surtout question que de vie ou de mort, de survie.

Un moment où tout ce qui participe de notre humanité (en dehors de la santé) est mis de côté…

Un moment où on interroge la liberté, notre liberté.

Un moment où le prix de la vie apparaît supérieur à nos échanges économiques…

Un moment où il apparaît assez clairement que c’est notre vulnérabilité qui fonde notre commune condition humaine…

 

Un moment de décrochement :

 

Ras le bol de cette surinformation… On ne cause que de ça… on peut nous dire tout et son contraire… on tire des plans sur la comète… On rêve d’un autre monde… Ça ne va plus être comme avant… Alors je décroche des médias mais aussi des réseaux dits «sociaux».

 

Un moment de contemplation :

 

Bien que relativement inquiet de ce qui nous arrive et surtout de ce qui va en advenir, je goûte ce moment avec un certain plaisir ; je dirais même délice, face au rythme du temps qui semble suspendu.

En effet, c’est assez réconfortant pour les gens pressés que nous sommes, écrasés par l’horloge intemporelle de notre temps vide, de savourer une temporalité plus souple en symbiose avec notre capacité à la contemplation. Profitons d’un temps qui puisse s’arrêter, se gonfler de présence de l’autre, même à distance, riche de résonance intérieure. C’est le moment de lâcher prise, sans risque… C’est le moment de s’abandonner en mettant de côté certains objectifs ou projets plus ou moins factices.

 

Prenons notre temps… fut-il imposé… Cette situation est d’autant plus facile à accepter que nous sommes tous logés à la même enseigne…

 

Un moment prospectif :

 

«ÇA ne pourra plus être comme avant» entend-on régulièrement… On se prend à rêver, à espérer, à prendre ses désirs pour une éventuelle future réalité… Quoiqu’il en soit, on ne va pas sortir indemnes de ce moment insolite, de cet événement incroyable bien que non inédit dans l‘histoire de l’humanité.

 

Un moment qui fera date…

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1    AEMO : Action Éducative en Milieu Ouvert  (entendre dans la plupart des situations, que les interventions éducatives se déroulent au domicile de la famille et qu'elles visent à éviter les placements des enfants en institutions (Note JPC)

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© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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