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JE ME CONFINE, TU TE CONFINES, ETC.

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Scholastique Mukasonga

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Née au Rwanda, Scholastique Mukasonga a 3 ans lorsqu’en 1959 éclatent les premiers pogroms contre les Tutsi et en 1960, elle sera déportée avec sa famille à Nyamata au Bugesera, une région de brousse alors très inhospitalière. La famille survit en dépit des persécutions et des massacres à répétition.

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Très bonne élève, elle fait partie des 10% de Tutsi admis dans les établissements secondaires rwandais (les 90% étant des Hutu) et elle rentre au lycée N- de Citeaux à Kigali puis à l'école d'assistante sociale à Butare.

 

En 1973, les élèves tutsi sont chassés des écoles et les fonctionnaires de leurs postes. Elle part en exil au Burundi pour échapper à la mort et une fois ses études achevées au Burundi, elle y travaille pour l'UNICEF.

 

Arrivée en France en 1992, elle doit refaire tout le cursus de formation pour réussir le concours d'assistante sociale. En 1996 et 1997, elle est assistante sociale auprès des étudiants de l'université de Caen. De 1998 à ce jour, elle exerce la fonction de mandataire judiciaire auprès de l'Union départementale des Associations familiales du Calvados (UDAF). Elle vit dans une station balnéaire, au bord de la  Manche.
 

En 1994, 37 membres de sa famille sont assassinés durant le génocide de Tutsi. Il lui faut dix ans pour avoir le courage de retourner au Rwanda (2004). Ce séjour lui donne la force d'écrire son premier livre, une autobiographie Inyenzi ou les Cafards qui sera suivi de nombreuses publications et d’aussi nombreux prix et distinctions.

Scholastique Mukasonga a été faite Chevalier des Arts et des Lettres. 

 

Le film «Notre dame du Nil» réalisé par Atiq Rahimi, a été projeté en avant-première au festival de Toronto et a obtenu le prix de la meilleure actrice pour le groupe de jeunes filles au Festival Vues d’Afrique et lOurs de Cristal à Berlin.

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Le 25 mai 2020,

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JE ME CONFINE, TU TE CONFINES, ETC.

 

 

« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés.» a écrit La Fontaine dans sa fable «Les animaux malades de la peste». Et ce vers me semble pouvoir s'appliquer à nous, humains du XXIème siècle, en proie à l'agression maligne et inattendue d'un virus surgi de l'autre bout de la planète. Oui, on veut nous en convaincre, et bien sûr il faut en être convaincu : tous, tous ceux avec lesquels nous vivons, que nous fréquentons, que nous croisons, sont frappés par ce virus vicieux qui se camoufle en gros rhume.

 

Je profite imprudemment du laisser-passer de sortie. Je l'ai dûment rempli. J'ai coché la case : déplacement bref lié… à la promenade dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile. La mer est à 200m. de chez moi et je suis bien décidée à respecter la ''distanciation sociale''.

La plage est interdite. Elle est rendue aux mouettes et à ces bandes de petits oiseaux dont j'ai oublié le nom et qui sautillent, et vont et viennent sur leurs pattes pas plus grosses qu'un fil. Ils pourront nicher en toute quiétude à moins que la colonie de phoques qui paressent sur un banc de sable de l'estuaire de l'Orne n'en profite pour s'établir au pied de la digue désertée.

 

Au retour, j'aperçois mon voisin qui comme chaque matin, à la même heure, revient du boulanger, sa baguette sous le bras. Que faire ? Comment garder la distanciation sociale ? Faut-il rebrousser chemin, changer de trottoir ? J'opte pour la deuxième solution et je lance de loin un ''bonjour'' que je n'ose faire suivre de l'habituel «Comment allez-vous?». Mon voisin presse le pas, me répond par un vague salut. Ouf ! la distanciation sociale a été respectée.

 

De retour à la maison, je repense à ma rencontre avec le voisin. Quelle mine avait-il ? Il m’a semblé bien pâle, symptôme évident du virus et je crois l’avoir entendu tousser. Le Coronavirus serait-il à ma porte, en face de chez moi ? Le vent, ces jours-ci, a soufflé en tempête, il rabattait la pluie contre les fenêtres et pourquoi pas aussi ces infimes parcelles de ce virus qui s’infiltrent partout ? Je me regarde dans la glace de l’armoire : bien sûr je ne suis pas pâle, juste un peu moins noire, grisâtre peut-être ? Mauvais signe.

Pour chasser ces mauvaises pensées, rien de tel que le travail, le télétravail bien sûr. L’ordinateur de service a chassé celui sur lequel j’écris mes livres. Il est 9 heures. Je respecte les horaires et je relis les sages consignes de mon employeur :

S’organiser comme si vous étiez au bureau. Un conseil : habillez-vous comme si vous étiez au bureau. Ne traînez pas en pyjama de votre chambre à votre bureau improvisé. Le pyjama n’incite pas à la concentration et au dynamisme. Vous n’êtes pas au bureau mais vous êtes en service.

Je vérifie que je suis vêtue décemment. Mais je suis prise d’un doute affreux. Y aurait-il dans l’ordinateur ou le portable fourni par l’entreprise je ne sais quelle caméra cachée qui surveillerait mes faits et gestes, mes horaires, mon application au travail, ma tenue vestimentaire. Où se cache le mouchard ? Réflexion faite, je chasse ce soupçon, et je rends grâce à mes deux ordinateurs qui sont le seul lien qui me reste avec le monde extérieur, si ce monde existe encore…

 

Le confinement serait-il pour un écrivain une sorte de résidence d’écriture forcée, l’occasion de solitude qu’il a toujours espérée pour écrire à loisir. Certes, l’égoïsme des écrivains est sans limites, mais je ne défierai pas le malheur universel de quelques pages ajoutées. Et puis je pense à mon dernier livre, le pauvre Kibogo que je voulais envoyer au ciel. Le malheureux ouvrage est mal sorti comme on dirait aux Antilles, le jour même où la France était déclarée en état de confinement. Et le voilà, mon cher Kibogo, confiné sur les étals des libraires aux portes closes sans espoir de lecteurs avant que ne cesse la maudite pandémie. Je suis écrivaine : je souffre pour mon pauvre Kibogo, le mal-né.

 

Je tente une dernière escapade dans le village avant le coucher du soleil.

Je ne sais si c’est bien autorisé. La rue est déserte. Les mouettes ont investi les toits de leur vacarme triomphal. Au loin une silhouette. Le passant s’arrête, il m’observe, je fais de même. Puis brusquement, chacun s’engouffre dans une ruelle opposée. Nous ne sommes plus des humains, mais comme les suricates du désert, les sentinelles du virus.

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© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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                                             BIBLIOGRAPHIE, aux éditions Gallimard


 

INYENZI OU LES CAFARDS, collection Continents Noirs, 2006, 

« folio » n°(5709)
 

LA FEMME AUX PIEDS NUS, collection Continents Noirs, 2008,

Prix Seligman 2008 de la chancellerie des Universités de Paris.

« folio » n°5382 .
 

L’IGUIFOU,nouvelles rwandaises, collection Continents Noirs, 2010

prix Renaissance de la nouvelle 2011, Bruxelles ; 

prix Bourdarie 2011 de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.

« folio » n°5987.
 

NOTRE-DAME DU NIL, collection Continents Noirs, 2012,

prix Renaudot 2012, prix Ahmadou Kourouma 2012, Genève,

prix Océans France Ô.

« folio » n°5708.
 

CE QUE MURMURENT LES COLLINES , nouvelles rwandaises,

Collection Continents Noirs, 2014, 

Prix de la Société des Gens de Lettres 2015 pour la nouvelle.

« folio » 5929.
 

LA VACHE DU ROI MUSINGA et autres nouvelles rwandaises,

« folio 2€ » n°6129
 

CŒUR TAMBOUR, collection blanche, 2016,

« folio » 6435 ;
 

UN SI BEAU DIPLÔME !, collection blanche, 2018,

« folio » n° à paraître août 2020
 

KIBOGO EST MONTÉ AU CIEL, collection blanche, 2020.

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                                                         PRIX ET DISTINCTIONS


La traduction américaine de Inyenzi ou les Cafards, par Jordan Stump, Cockroaches, a été nominée pour le 2016 Los Angeles Times Book Prize for Autobiographical Prose Category. Lui succèdent La Femme aux pieds nus (2008) qui reçoit le Prix Seligmann de la Chancellerie des Universités de Paris contre le racisme et l'intolérance. Suit un recueil de nouvelles, L'Iguifou, (2010) couronné par prix Paul Bourdarie 2011 de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer et par le prix Renaissance de la nouvelle. Son roman, Notre-Dame du Nil, obtient le prix Ahmadou Kourouma à Genève, le prix Océan France Ô et le Renaudot en 2012. La traduction américaine Our Lady of the Nile est sélectionnée dans les dix meilleurs romans pour le Dublin Literary Award et dans la shortlist du prix Emerging Voices du Financial Times. Elle publie en 2014 un nouveau recueil de nouvelles Ce que murmurent les collines qui obtient le prix de la Société des gens de lettres (SGL) 2015 pour lanouvelle.

Son roman, Coeur Tambour sort en janvier 2016, dans la Collection Blanche des éditions Gallimard. En mars 2018, elle publie un ouvrage autobiographique Un si beau diplôme. En mars 2020, un nouveau roman Kibogo est monté au ciel est publié toujours dans la collection blanche de Gallimard.


 

Le prix Bernheim de la fondation du Judaïsme lui est décerné en 2015 pour l'ensemble de son oeuvre.

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En juin 2017, lui est attribué à Copenhague le prix des Ambassadeurs francophones.
 

En 2019, Cockroaches est sélectionné par le New York Times parmi les 50 meilleurs récits autobiographiques de ces 50 dernières années.

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The Barefoot Woman fait partie des cinq finalistes du National Book Award.

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Scholastique Mukasonga a été faite Chevalier des Arts et des Lettres

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© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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