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« À QUOI BON ? »

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Karine Lecordier 

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Je suis française, fille de bord de mer puisque née à Cherbourg

J’ai 46 ans, je vis en couple avec un musicien de profession (batteur), nous avons deux filles (16 ans et  11ans). Nous habitons  près de Caen. 


Je suis éducatrice spécialisée et je travaille dans un foyer d'accueil d'urgence pour femmes victimes de violences.


Nous habitons près de Caen, dans un petit village à la campagne, tout près des plages de la Manche,  Airan.

 

Nous ne vivons pas cette situation, nous la subissons, nous sommes en colère contre ces clowns qui nous prennent pour des marionnettes. Après le confinement, notre colère ne sera plus confinée…

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Le 11 avril 2020,

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Je ne sais plus quel jour nous sommes, et ce matin alors que je remplissais un document que je devais signer, je demandais si nous étions en 2021.

Ça me fait peur, je n'ai plus de notion du temps.

Les jours se suivent et se ressemblent.

 

J'entends les oiseaux quand le jour se lève, et quand le soleil se couche. C'est comme si le silence leur appartenait. Ils s'en donnent à cœur joie.

Plus aucun bruit, le ciel leur appartient.

 

Sans le vouloir, j'ai établi un rituel. Je me lève. Je bois un café. Je bois un deuxième café. Je passe l'aspirateur. Je prends une douche.

 

Ma mère me dit «tu pourrais en profiter pour ranger ta salle».

A quoi bon?

Mon père a rangé tout son grenier (des cartons et des cartons éventrés de nos cahiers d'écoliers, de photos, et de bazar en tous genre).

A quoi bon ?

Mon père à repeint ses toilettes (qui soit dit en passant étaient déjà parfaites).

A quoi bon ?

Mon frère a remis son jardin nickel.

A quoi bon ?

Ma sœur tricote.

A quoi bon ?

 

On me dit qu'il faut profiter pour faire des choses qu'on ne peut pas faire faute de temps.

Aujourd'hui on a tous le temps. J'ai une grande maison. Un grand jardin.

Nous sommes confinés, et je suis confinée dans ma tête.

 

Pendant deux jours les hélicoptères de l'armée n'ont cessé de passer au dessus de la maison, transportant des malades vers l'aéroport de Carpiquet. Moi qui ai toujours eu peur quand un avion passe au dessus de la maison, j'étais terrorisée de tout ce vacarme au milieu de ce silence.

Mon grand-père nous racontait la guerre qu'il avait subi.

A chaque fois que passe un avion je revois ces images qu'il nous avait mises dans les oreilles.

 

 

Aux informations depuis hier, on nous montre des tranchées faites aux États-Unis pour enterrer les morts. Une fosse commune, tous en rang d'oignons.

Je me demande si dans quelques années cet endroit sera hanté ?

 

 

J'ai dû emmener ma fille à un rendez-vous médical à une vingtaine de kilomètres de chez nous.

Sur la route, seules. Les champs, les maisons, un désert !

Je me suis dit, «alors, si on meurt tous, tout va rester comme ça?».

 

M'est revenu en tête un livre que j'avais lu en 5ème. J'ai oublié le titre, mais cette histoire m'avait marquée, voire fait peur.

Un homme (dans le futur), sur une planète, se réveillait et se rendait compte qu'il était le dernier survivant...

Je me suis dis, «et si nous étions les dernières survivantes ?».

 

J'ai ouvert les fenêtres, j'ai mis la musique à fond et nous avons chanté.

 

Je pense à Higelin qui chante «Pars»,

Je pense à Daniel Balavoine et à sa fille Joana qui chante «La vie et les oiseaux »,

Je pense à Souchon qui chante «Et si en plus y'a personne».

 

Une fois ma douche prise, j'attends que le temps passe.

 

Mon conjoint m'avait laissé un jour un petit mot qui disait :

«Music is life, life is music...»

 

Alors j'écoute de la musique...

Parce qu' à quoi bon ?

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© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020

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