CARNET DE CONFINEMENT
Élisabeth Née
Je suis médecin généraliste à la retraite. J’ai 68 ans et je vis seule. J’ai deux enfants et trois et petits enfants.
Je suis confinée avec une petite chatte que j’ai recueillie et qui entend me faire savoir que j’habite chez elle !
Je n’ai pas toujours bien vécu la situation car je me fais du souci pour les autres et m’étant portée volontaire pour aider et n’étant pas appelée, je me suis vite rendue compte que mes filles avaient peur pour moi. J’ai donc appris à préserver l’essentiel. J’aide mes voisins, je fais du soutien téléphonique et de l’information à ceux qui me le demandent et surtout je surveille les problèmes médicaux de ma mère. Je reste disponible pour mes filles et mes petits enfants. J’ ai appris la patience.
Le 13 avril 2020,
Elle voulait faire un film sur la «râlerie française»
Elle ? Mon amie Américaine.
Jeune, souriante, voix douce.
Elle voulait m’embaucher.
J’ai gentiment décliné : non merci.
Une autre fois peut être mais là maintenant,
Non, j’ai assez râlé. Je suis échaudée.
Pas de polémique disait-on, ça tue l’ambiance.
Il faut vivre sa vie et rester léger à fleur de peau,
«belle journée, bel été, belle personne»
Autant de mots absurdes répétés à l’infini dans l’air du temps,
J’ai donc fini par me ranger comme tout le monde et baisser la garde.
La lucidité est intolérable tout seul. On peut y perdre la raison.
Nous préférions collectivement le beau au bon, je me suis amadouée.
Nous sommes, nous «les Français» un peuple ingouvernable.
Nos dirigeants nous disent même incontrôlables. Nous n’aimons pas la réforme !
Quelle réforme au fait ? Celle qui détruit nos services publics, qui détricote la S.N.C.F. (1)
en la livrant au privé, qui dépouille l’hôpital de son rôle de soins à toute personne malade
en l’obligeant à être rentable comme si c’était un bien de consommation ordinaire.
C’était la mondialisation, le diktat de la dette qu’on devait essayer de ramener au-dessous
de 3%. Obsédés par les chiffres nos gouvernants.
Un pognon de dingue, disait notre président. Il fallait tout raboter, suivre les experts économiques qui nous indiquaient la voie à suivre pour faire comme les autres.
Nous avons essayé de défendre les services publics, la SNCF, les bureaux de poste qui fermaient,
parfois un peu mollement pour ce qui me concerne, sans doute encore bercée de l’illusion
que notre état nous protégeait.
Des voix se faisaient entendre pour évoquer une catastrophe devant le désastre écologique. Nous allions dans le mur.
Et voilà, nous y sommes.
Cette épidémie est bien une pandémie. Au début, personne n’y croyait, ignorant la trajectoire inquiétante qu’elle prenait en Italie, puis en Espagne. Nous étions occupés par des manifestations contre la réforme des retraites et le gouvernement par les élections municipales. L’épidémie qui avait débuté en Chine se répandait en Europe mais pas chez nous. Comme le nuage de Tchernobyl qui, parole d’expert, s’était arrêté à la frontière ! Ce ne serait qu’une petite grippe dont 95 pour 100 de gens se remettraient sans problème, elle ne toucherait gravement que les vieux, les obèses, les diabétiques, les tabagiques ; enfin tous ceux qui avaient quelques raisons de se méfier de la vie ou de payer leurs inconséquences. Pourtant l’analyse des dernières épidémies aurait dû nous alerter : le SRAS (2), Ebola, la grippe H1N12 qui aurait pu nous ravager. Nous avons eu de la chance et cette chance, nous l’avons transformée en toute puissance. Les malheurs, c’était pour les autres !
Nous y sommes.
Depuis le 17 mars à midi, nous devons rester chez nous. Nous sommes en guerre a dit la veille notre président. La guerre est déclarée contre un ennemi invisible qui se nomme Coronavirus 2019.
La rhétorique guerrière a de quoi faire sourire. Une épidémie, ce n’est pas la guerre. C’est à mon sens un accident de la vie et pour un pépin, c’est un gros pépin difficile à avaler pour la plupart d’entre nous. On nous explique que la seule façon de se sortir du pétrin (3) c’est de rester chez nous et de ne sortir que pour motif impérieux mais, nous, nous savons bien que l’hôpital n’a pas assez de moyens pour faire face.
Les soignants nous expliquaient depuis longtemps qu’ils ne pourraient pas assurer en cas d’épidémie. L’hôpital est à «l’os» avait dit un médecin en Janvier 2020 quand ils avaient lutté pour desserrer les contraintes budgétaires.
Nous comprenons alors que ce confinement c’est l’«arme du pauvre» bien qu’indispensable pour limiter la contagion.
pas de masques
pas de gel hydroalcoolique
pas de thermomètre
Restez chez vous !
Cette petite affiche, sur la vitrine du pharmacien de mon quartier appelle quelques commentaires.
Je sais qu’il n’y a pas assez de masques pour les personnes qui sont au travail, et encore moins de masques FP2 pour le personnel soignant. De là à dire comme l’a fait la chargée de communication à l’Élysée que cela ne sert à rien ou qu’on ne saurait pas les porter est un peu «fort de café». (4)
Pas de gel hydroalcoolique : ça encore, si on a un point d’eau pour se laver les mains, ce n’est pas utile au grand public.
Pa s de thermomètre.
Mais comment se fait-il qu’on n’ait rien ? Mystère ! Pas d’explication des politiques là-dessus.
Nous en saurons plus par la suite.
Lorsque je travaillais comme médecin, je demandais aux patients qui venaient me voir de surveiller leur température pour repérer les complications et m’alerter en cas de grippe compliquée. Je dois avouer que j’avais assez peu de succès car savoir qu’ils en avaient aurait nécessité un arrêt de travail qui les aurait fortement pénalisés financièrement.
L’injonction «Restez chez vous» renvoie les gens les mains vides sans rien de concret à faire pour participer. C’est les livrer à une peur panique de ce virus. De fait, nous assistons à une surenchère de désinfection avec port de gants qui brouille la compréhension du processus de contagion. Le virus nous contamine par les particules de salive qu’on émet en parlant. Il peut survivre dans le milieu extérieur mais on ne connaît pas précisément son pouvoir infectant.
La priorité semble bien être de porter des masques d’apprendre à les porter, de ne pas porter les mains à son visage et de se laver les mains dès qu’on rentre chez soi.
Nous y sommes.
4ème semaine de confinement.
J’ai la nette impression que notre gouvernement navigue à vue. Le confinement va durer. Il est reporté de quinzaine en quinzaine et nous ne savons pas où nous allons ; les effets du confinement commencent tout juste à se faire sentir dans les admissions en réanimation mais les soignants sont épuisés et n’ont toujours pas l’équipement nécessaire. Les Ehpad (établissements pour personnes âgées dépendantes) sont sous-dotés en personnel et n’ont pas le matériel .
Les personnes âgées sont confinées dans leur chambre, commencent à glisser (5). Elles ne voient plus leurs proches ou à travers une fenêtre. Les soignants font ce qu’ils peuvent mais se sentent abandonnés et en danger. J’apprends des médecins que les patients n’appellent plus quand ils ont une autre maladie. Le service des urgences cardio-vasculaires tourne au ralenti. Le responsable s’alarme. Il faut appeler dans les 6 heures si on a des signes qui évoquent un accident vasculaire cérébral. Après, c’est trop tard, on gardera des séquelles.
Les morts s’égrènent à la radio chaque matin. On ne sait plus compter, les chiffres sont effrayants.
On s’aperçoit au fil des jours qu’on a oublié de compter les vieux et ils sont morts par centaines.
Les enterrements se font dans la plus stricte intimité : pas plus de 20 personnes, parfois moins. Les personnes âgées entendent sonner le glas au loin. J’ai utilisé un site «In Memori» pour un de mes proches, site internet qui permet de rendre un hommage à la personne disparue, site gratuit, bien utile en cette période.
Les complications du confinement se font sentir. Les inégalités sociales sont mises en évidence : logements exigus, conflits familiaux, accroissement des violences intrafamiliales, état de stress, ruptures de niveau de vie. Les mères font les comptes pour donner à manger à leurs enfants dès le 15 du mois, ils ne vont plus à la cantine et leur budget est resté le même. Les enfants font l’école à la maison mais tous les foyers ne sont pas équipés de l’outil informatique et tous les parents ne peuvent pas assumer ce rôle ; les enseignants disent avoir perdu entre 5 et 10 pour cent de leurs élèves. Beaucoup d’enseignants, d’A.T.S.E.M (agent territorial spécialisé en école maternelle), de C.P.E (conseiller principal d’éducation) travaillent de manière conjointe pour garder le lien. Ils se sont formés avec leurs élèves aux cours en ligne. Ironie de l’histoire, avant le confinement, ils mettaient en garde sur l’addiction à l’informatique !!
L’école à la maison, ce n’est pas l’école. Manquent les copains .
Autre ironie et leçons à tirer de cette épreuve, ce ne sont pas les gens les mieux payés qui sont en première ligne. Le monde semble tourner malgré le confinement de nos «premiers de cordée» (6). Notre président a promis qu’il s’en souviendrait. Espérons le !
J’applaudis tous les soirs à mon balcon les soignants, les «héros» de cette crise. Ils ne sont bien sûr pas les seuls. Il faut y associer tous ceux qui permettent de faire tourner le pays en cette période. Je leur rends hommage. Ces applaudissements peuvent sembler bien dérisoires, mais c’est un rite de rencontre entre les «confinés». 20 heures à ne pas rater , nous qui avons perdu la notion du temps. La vague d’applaudissements qui monte des immeubles est impressionnante et témoigne que nous sommes toujours en vie et que nous sommes là !
Nous y sommes. Aujourd’hui lundi de Pâques le 13 Avril .
Les chiffres, s’ils s’améliorent un peu sont encore catastrophiques : 561 morts hier le 12 avril (total de 14293 décès depuis le début de l’épidémie). Petite amélioration sur le chiffre d’entrée en réanimation mais encore 31826 patients hospitalisés pour motif de Covid 19.
Ce soir, notre président va parler, un peu après 20 heures. Nous ne savons pas encore ce qu’il va dire mais les journalistes nous y ont préparés. Le confinement va durer. Certains responsables politiques l’enjoignent à être plus lisible : combien de temps ? Et la sortie du confinement ? Comment ? Quels sont les différents scénarii ?
Les sondages ne sont pas bons sur la gestion de cette crise. Nous ne comprenons pas la pénurie de masques alors que les politiques nous avaient promis des milliards de masques qui n’arrivent pas.
Nous n’aurons donc pas de masques et ce n’est pas raisonnable d’être sans masques. Les initiatives ne manquent pas pourtant. Le C.H.U de Grenoble a fait appel à des couturières bénévoles pour faire un masque en tissu destiné au personnel soignant, les tutos fleurissent sur internet, chacun(e) y allant de son conseil pour en améliorer le port. J’opte pour un masque en papier : serviette de table pliée en accordéon, on replie les deux extrémités qu’on agrafe non sans avoir glissé un élastique de bureau. Simple à réaliser. Matériel plus facile à trouver que le tissu et surtout rapide à faire (voir le site du professeur Garin). Il faut bien sur rappeler les règles pour le porter .
Nous attendons les tests avec impatience pour faire le bilan de l’immunisation.
Haut les cœurs ! Et rappelons nous, nous ne sommes pas les plus malheureux !
Élisabeth NÉE
1 S.N.C.F. : Société Nationale des Chemins de Fer, emblématique monopole d’État des trains en voie de privatisation accélérée. Note de JPC)
2 SRAS: Syndrome respiratoire aigu sévère 2003 ; Ébola 2013-2015 et 2018-2019 en RDC Congo ; H1N1, dit grippe «porcine» pandémie de 2009. devenue grippe régulière. (Note de JPC)
3 La pâte à pain que pétrissait jadis le boulanger dans un coffre en bois (le pétrin) était une une matière pâteuse et collante de laquelle il serait difficile de sortir si on tombait dedans.(Note de JPC)
4 Expression populaire très prisée au 19è pour dire, le café étant réputé être fort et amer, que ''c'est trop fort'', que cela est excessif, «dépasse les bornes», les limites de l’acceptable. Pour exprimer la même chose, les Allemands utilisent ''c'est du tabac fort'', les espagnols ''c'est un comble'' et les Anglais ''au-dessus du sommet''. (Note de JPC)
5 À l’origine expression argotique, employée aujourd’hui pour dire d’une personne souvent âgée qu’elle se laisse mourir, elle glisse de ce monde dans l’autre. (Note de JPC)
6 le président de la France, Emmanuel Macron, à qui la gauche et une partie de l’opinion publique reprochaient de faire une politique pour les riches, avait utilisé cette métaphore en octobre 2017, pour dire en gros que ceux qui entreprennent sont indispensables, même aux pauvres. La métaphore avait été mal reçue. "Si l'on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c'est toute la cordée qui dégringole". Il n’avait eu de cesse dans les mois qui ont suivi d’édulcorer son propos pour le justifier. (Note de JPC)
© Mosaïque - Jean-Pierre Coiffey 2020